Página dedicada a mi madre, julio de 2020

Alphonse Daudet

Lettres de mon moulin

1869 et 1879

Textes: La chèvre de monsieur Seguin et Les étoiles 

 

LA CHÈVRE DE M. SEGUIN
À M. Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris

 

Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Gringoire!

Comment! on t’offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l’aplomb de refuser… Mais regarde-toi, malheureux garçon! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Voilà pourtant où t’a conduit la passion des belles rimes! Voilà ce que t’ont valu dix ans de loyaux services dans les pages du sire Apollo… Est-ce que tu n’as pas honte, à la fin?

Fais-toi donc chroniqueur, imbécile! fais- toi chroniqueur! Tu gagneras de beaux écus à la rose, tu auras ton couvert chez Brébant, et tu pourras te montrer les jours de première avec une plume neuve à ta barrette…

Non? Tu ne veux pas?… Tu prétends rester libre à ta guise jusqu’au bout… Eh bien, écoute un peu l’histoire de la chèvre de M. Seguin. Tu verras ce que l’on gagne à vouloir vivre libre.

M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres.

Il les perdait toutes de la même façon: un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C’était, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.

Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait:

— C’est fini; les chèvres s’ennuient chez moi, je n’en garderai pas une.

Cependant il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu’elle s’habituât mieux à demeurer chez lui.

Ah! Gringoire, qu’elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin! qu’elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande! C’était presque aussi charmant que le cabri d’Esméralda, tu te rappelles, Gringoire? — et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l’écuelle. Un amour de petite chèvre…

Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d’aubépines. C’est là qu’il mit sa nouvelle pensionnaire. Il l’attacha à un pieu, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l’herbe de si bon cœur que M. Seguin était ravi.

— Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s’ennuiera pas chez moi!

M. Seguin se trompait, sa chèvre s’ennuya.

Un jour, elle se dit en regardant la montagne:

— Comme on doit être bien là-haut! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou!… C’est bon pour l’âne ou pour le bœuf de brouter dans un clos!… Les chèvres, il leur faut du large.

À partir de ce moment, l’herbe du clos lui parut fade. L’ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare. C’était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mê!… tristement.

M. Seguin s’apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c’était… Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois:

— Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.

— Ah! mon Dieu!… Elle aussi! cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle; puis, s’asseyant dans l’herbe à côté de sa chèvre:

— Comment Blanquette, tu veux me quitter!

Et Blanquette répondit:

— Oui, monsieur Seguin.

— Est-ce que l’herbe te manque ici?

— Oh! non! monsieur Seguin.

— Tu es peut-être attachée de trop court; veux-tu que j’allonge la corde!

— Ce n’est pas la peine, monsieur Seguin.

— Alors, qu’est-ce qu’il te faut! qu’est-ce que tu veux?

— Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.

— Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra?…

— Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin.

— Le loup se moque bien de tes cornes. Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l’an dernier? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s’est battue avec le loup toute la nuit… puis, le matin, le loup l’a mangée.

— Pécaïre! Pauvre Renaude!… Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.

— Bonté divine!… dit M. Seguin; mais qu’est-ce qu’on leur fait donc à mes chèvres? Encore une que le loup va me manger… Eh bien, non… je te sauverai malgré toi, coquine! et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t’enfermer dans l’étable, et tu y resteras toujours.

Là-dessus, M. Seguin emporta la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s’en alla…

Tu ris, Gringoire? Parbleu! je crois bien; tu es du parti des chèvres, toi, contre ce bon M. Seguin… Nous allons voir si tu riras tout à l’heure.

Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n’avaient rien vu d’aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d’or s’ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu’ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête.

Tu penses, Gringoire, si notre chèvre était heureuse! Plus de corde, plus de pieu… rien qui l’empêchât de gambader, de brouter à sa guise… C’est là qu’il y en avait de l’herbe!, jusque par-dessus les cornes, mon cher!… Et quelle herbe! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes… C’était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc!… De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !…

La chèvre blanche, à moitié soûle, se vautrait là dedans les jambes en l’air et roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes… Puis, tout à coup, elle se redressait d’un bond sur ses pattes. Hop! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d’un ravin, là-haut, en bas, partout… On aurait dit qu’il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne.

C’est qu’elle n’avait peur de rien la Blanquette.

Elle franchissait d’un saut de grands torrents qui l’éclaboussaient au passage de poussière humide et d’écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s’étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil… Une fois, s’avançant au bord d’un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçu en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes.

— Que c’est petit! dit-elle; comment ai-je pu tenir là dedans?

Pauvrette! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde…

En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même, — ceci doit rester entre nous, Gringoire, — qu’un jeune chamois à pelage noir, eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s’égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu’ils se dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse.

Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette; c’était le soir…

— Déjà! dit la petite chèvre; et elle s’arrêta fort étonnée.

En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d’un troupeau qu’on ramenait, et se sentit l’âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit… puis ce fut un hurlement dans la montagne:

— Hou! hou!

Elle pensa au loup; de tout le jour la folle n’y avait pas pensé… Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C’était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort.

— Hou! hou!… faisait le loup.

— Reviens! reviens!… criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu’il valait mieux rester.

La trompe ne sonnait plus…

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C’était le loup.

Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se pressait pas; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.

— Ha! ha! la petite chèvre de M. Seguin! et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d’amadou.

Blanquette se sentit perdue… Un moment en se rappelant l’histoire de la vieille Renaude, qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite; puis, s’étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu’elle était… Non pas qu’elle eût l’espoir de tuer le loup, — les chèvres ne tuent pas le loup, — mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude…

Alors le monstre s’avança, et les petites cornes entrèrent en danse.

Ah! la brave chevrette, comme elle y allait de bon cœur! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d’une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe; puis elle retournait au combat, la bouche pleine… Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait:

— Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube…

L’une après l’autre, les étoiles s’éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents… Une lueur pâle parut dans l’horizon… Le chant d’un coq enroué monta d’une métairie.

— Enfin! dit la pauvre bête, qui n’attendait plus que le jour pour mourir; et elle s’allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang…

Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea.

Adieu, Gringoire!

L’histoire que tu as entendue n’est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens en Provence, nos ménagers te parleront souvent de la cabro de moussu Seguin, que se battégue touto la neui emé lou loup, e piei lou matin lou loup la mangé.

Tu m’entends bien, Gringoire:

E piei lou matin lou loup la mangé.

Cartas desde mi molino

Versión septiembre de 2011

Textos: La cabra del señor Seguin y Las estrellas 

 

LA CABRA DEL SEÑOR SEGUIN
A M. Pierre Gringoire, poeta lírico en París

 

¡Siempre serás el mismo, mi pobre Gringoire!

¡Cómo! Te ofrecen un puesto de cronista en un buen periódico de París, y tú tienes el aplomo de rechazarlo… ¡Pero mírate, desgraciado muchacho! Mira ese abrigo agujereado, esas calzas destrozadas, esa cara delgada que grita de hambre. ¡Mira adónde te ha llevado la pasión por las bonitas rimas! Mira para lo que te han servido diez años de leales servicios en las páginas del señor Apolo… ¿No te da vergüenza al final?

¡Hazte, pues, cronista, imbécil!, ¡hazte cronista! Ganarás buenos escudos de oro, tendrás tu cubierto en el restaurante Brébant, y podrás presentarte los días de estreno con una pluma nueva en tu sombrero…

¿No? ¿No quieres?… Pretendes quedarte libre a tu gusto hasta el final… Pues bien, escucha un poco la historia de la cabra del señor Seguin. Verás lo que se gana si se quiere vivir libre.

El señor Seguin no había tenido nunca suerte con sus cabras.

Las perdía todas del mismo modo: una buena mañana, rompían la cuerda, se iban a la montaña, y allí arriba el lobo se las comía. Ni las caricias de su dueño, ni el miedo al lobo, nada las retenía. Eran, parece ser, cabras independientes, que querían a cualquier precio el aire libre y la libertad.

El buen señor Seguin, que no entendía nada del carácter de sus animales, estaba consternado. Decía:

– Se acabó; las cabras se aburren conmigo, no me quedaré con ninguna.

Sin embargo, no se desanimó, y, después de haber perdido seis cabras del mismo modo, compró la séptima; solo que esta vez tuvo cuidado de cogerla muy joven, para que se habituara mejor a vivir con él.

¡Ah! Gringoire, ¡qué bonita era la cabrita del señor Seguin!, ¡qué bonita era con sus ojos dulces, su barbilla de suboficial, sus zancos negros y brillantes, sus cuernos estriados y sus largos pelos blancos que le hacían una hopalanda! Era casi tan encantadora como el cabrito de Esmeralda, ¿te acuerdas, Gringoire? – y además, dócil, cariñosa, y se dejaba ordeñar sin moverse, sin meter el pie en la escudilla. Un amor de cabrita…

Seguin tenía detrás de su casa un cercado rodeado de espinos blancos. Allí puso a su nueva pupila. La ató a una estaca, en el lugar más bonito del prado, prestando atención a dejarle mucha cuerda, y de vez en cuando venía a ver si estaba bien. La cabra se sentía muy feliz y pacía la hierba de tan buena gana, que el señor Seguin estaba encantado.

– ¡Por fin – pensaba el pobre hombre – una que no se aburrirá en mi casa!

El señor Seguin se equivocaba, su cabra se aburrió.

Un día, dijo ella mirando la montaña:

– ¡Qué bien se tiene que estar allí arriba! ¡Qué placer corretear por el brezal, sin esta maldita cuerda que desuella el cuello!… ¡Pacer en un cercado está bien para un asno o para un buey!… Las cabras necesitan holgura…

A partir de ese momento, la hierba del cercado le pareció insípida. El tedio la venció. Adelgazó, su leche se hizo escasa. Daba piedad verla tirar todo el día de la cuerda, con la cabeza vuelta hacia la montaña, la nariz abierta, haciendo ¡Meee!… tristemente.

El señor Seguin se daba cuenta de que su cabra tenía algo, pero no sabía qué era… Una mañana, cuando estaba acabando de ordeñarla, la cabra se volvió y le dijo en su jerga:

– Escuche, señor Seguin, languidezco en su casa, deje que me vaya a la montaña.

– ¡Ah!, ¡Dios mío!… ¡También esta! – gritó el señor Seguin atónito, y de pronto dejó caer la escudilla; luego, sentándose en la hierba al lado de su cabra:

– ¿Cómo, Blanquita, quieres dejarme?

Y Blanquita respondió:

– Sí, señor Seguin.

– ¿Te falta hierba aquí?

– ¡Oh!, ¡no!, señor Seguin.

– Quizás tengas poca cuerda; ¿quieres que te la alargue?

– No vale la pena, señor Seguin.

– Entonces, ¿qué necesitas?, ¿qué quieres?

– Quiero irme a la montaña, señor Seguin.

– Pero, infeliz, ¿no sabes que el lobo está en la montaña?… ¿Qué harás cuando venga?

– Le daré cornadas, señor Seguin.

– El lobo se ríe de tus cuernos. Me ha comido unas cabras con tan buena cornamenta como la tuya… ¿Conoces a la pobre vieja Renaude que estaba aquí el año pasado?, una señora cabra, fuerte y mala como un macho cabrío. Luchó con el lobo toda la noche… luego, por la mañana, el lobo se la comió.

– ¡Qué lástima! ¡Pobre Renaude!… Eso no me importa, señor Seguin, deje que me vaya a la montaña.

– ¡Dios mío!… dijo el señor Seguin; pero ¿qué les pasa a mis cabras? Una más que se va a comer el lobo… Pues bien, no… ¡Te salvaré a tu pesar, tunante!, y para que no rompas la cuerda, te encerraré en el establo, y allí permanecerás siempre.

Dicho esto, el señor Seguin llevó la cabra a un establo completamente oscuro cuya puerta cerró con dos vueltas. Desgraciadamente, había olvidado la ventana, y apenas hubo vuelto la espalda, la pequeña se fue…

¿Te ríes, Gringoire? ¡Pardiez!, ya lo creo, tú estás del lado de las cabras, contra ese buen señor Seguin… Vamos a ver si te ríes a continuación.

Cuando la cabra blanca llegó a la montaña, fue un encantamiento general. Los viejos abetos nunca habían visto nada tan bonito. La recibieron como a una pequeña reina. Los castaños se inclinaban hasta el suelo para acariciarla con la punta de sus ramas. Las retamas de oro se abrían a su paso, y olían tan bien como podían. Toda la montaña le hizo una fiesta.

¡Imagina, Gringoire, si nuestra cabra estaba feliz! Ninguna cuerda, ninguna estaca… nada que le impidiera corretear, pacer a su gusto… ¡Allí sí que había hierba!, ¡hasta por encima de sus cuernos, querido!… ¡Y qué hierba! Sabrosa, fina, arpada, hecha de mil plantas… Era muy diferente al césped del cercado. ¡Y las flores, pues!… ¡Grandes campanillas azules, dedaleras de púrpura con largos cálices, todo un bosque de flores salvajes que rebosaban de esencias embriagadoras!…

La cabra blanca, medio embriagada, se tendía allí dentro, con las piernas al aire, y rodaba a lo largo de las pendientes, hecha un revoltijo con las hojas caídas y las castañas… Luego, de pronto, se incorporaba de un salto sobre sus patas. ¡Hop!, se marchaba, con la cabeza adelante, a través de los matorrales y los brezales, de pronto en un pico, de pronto al fondo de un barranco, arriba, abajo, por todas partes… Se habría dicho que había diez cabras del señor Seguin en la montaña.

Es que Blanquita no tenía miedo de nada.

Flanqueaba de un salto grandes torrentes que la salpicaban al pasar de polvo húmedo y de espuma. Entonces, completamente chorreando, iba a tenderse sobre alguna piedra plana y se secaba al sol… Una vez, avanzando al borde de un llano, con una flor de codeso entre los dientes, distinguió allá abajo, completamente abajo, en la llanura, la casa del señor Seguin con el cercado detrás. Eso la hizo llorar hasta las lágrimas.

– ¡Qué pequeño es!, dijo ella. ¿Cómo he podido soportar estar allí dentro?

¡Pobrecilla!, al verse encaramada tan alto, se creía al menos tan grande como el mundo…

En definitiva, ese fue un bonito día para la cabra del señor Seguin. Hacia mediodía, corriendo de un lado para otro, se encontró con una manada de gamuzas que estaban mordisqueando a grandes dentelladas una vid silvestre. Nuestra pequeña corredora vestida de blanco causó sensación. Le dieron el mejor sitio en la parriza, y todos los caballeros fueron muy galantes… incluso parecía, – esto tiene que quedar entre nosotros, Gringoire, – que un joven rebeco de pelo negro, tuvo la fortuna de gustarle a Blanquita. Los dos enamorados se perdieron por el bosque una o dos horas, y si tú quieres saber lo que se dijeron, ve a preguntárselo a los manantiales charlatanes que corren invisibles por el musgo.

De pronto el viento refrescó. La montaña se volvió violeta; era de noche…

– ¡Ya!, dijo la cabrita; y se detuvo muy sorprendida.

Abajo, los campos estaban ahogados en la bruma. El cercado del señor Seguin desaparecía en la niebla, y de la casita solo se veía el techo con un poco de humo. Escuchó las campanas de un rebaño que se recogía, y sintió su alma completamente triste… Un gerifalte que regresaba la rozó con las alas al pasar. Ella tembló… luego se escuchó un aullido en la montaña:

-¡Auu! ¡Auu!

Pensó en el lobo; durante todo el día la loca no había pensado en él… Al mismo tiempo una trompa se escuchó muy lejos en el valle. Era el buen señor Seguin que hacía un último esfuerzo.

-¡Auu! ¡Auu!.. hacía el lobo.

– ¡Vuelve! ¡Vuelve!… gritaba la trompa.

Blanquita tuvo ganas de volver; pero acordándose de la estaca, de la cuerda, del odio del cercado, pensó que ya no podía soportar esa vida, que valía más la pena quedarse allí.

La trompa no sonaba ya…

La cabra oyó detrás de ella un ruido de hojas. Se volvió y vio en la sombra dos orejas cortas, completamente erguidas, con dos ojos que brillaban… Era el lobo.

Enorme, inmóvil, sentado en sus ancas, estaba allí mirando a la pobre cabra blanca y saboreándola por adelantado. Dado que sabía muy bien que iba a comérsela, no se apresuraba; solo, cuando ella se volvió, se puso a reír malvadamente.

– ¡Ja, ja!, ¡la cabrita del señor Seguin!, y con su gran lengua roja se relamió su hocico de yesca.

Blanquita se sintió perdida… Por un momento, al acordarse de la historia de la vieja Renaude, que había luchado toda la noche para ser comida por la mañana, consideró que quizás valía más la pena dejarse comer enseguida; luego, cambiando de opinión, se puso en guardia, con la cabeza baja y los cuernos hacia adelante, como lo que era, una buena cabra del señor Seguin… No es que tuviera la esperanza de matar al lobo, – las cabras no matan a los lobos, – pero solo para ver si ella podría soportar tanto como Renaude…

Entonces el monstruo avanzó, y los pequeños cuernos se pusieron en acción.

¡Ah, la valiente cabrita!, ¡de qué buena gana iba! Más de diez veces, no miento, Gringoire, obligó al lobo a retroceder para tomar aliento. Durante esas treguas de un minuto, la glotona cogía deprisa otra brizna de su querida hierba; luego volvía al combate, con la boca llena… Eso duró toda la noche. De vez en cuando, la cabra del señor Seguin miraba las estrellas que bailaban en el cielo claro, y se decía:

– ¡Oh!, basta con que soporte hasta el alba…

Una tras otra, las estrellas se apagaron. Blanquita redobló sus cornadas, el lobo sus dentelladas… Un brillo pálido apareció en el horizonte… El canto de un gallo ronco subió desde una granja.

– ¡Por fin!, dijo el pobre animal, que solo esperaba la llegada del día para morir; y se tendió en el suelo en su hermoso forro blanco completamente manchado de sangre…

Entonces el lobo se arrojó sobre la cabrita y se la comió.

¡Adiós, Gringoire!

La historia que has escuchado no es un cuento de mi invención. Si alguna vez vienes a la Provence, nuestros vecinos te hablarán a menudo de la cabro de moussu Seguin, que se battégue touto la neui emé lou loup, e piei lou matin lou loup la mangé.

Ya me entiendes, Gringoire:

E piei lou matin lou loup la mangé. 

LES ÉTOILES.
Récit d’un berger provençal

Du temps que je gardais les bêtes sur le Luberon, je restais des semaines entières sans voir âme qui vive, seul dans le pâturage avec mon chien Labri et mes ouailles. De temps en temps l’ermite du Mont-de-l’Ure passait par là pour chercher des simples ou bien j’apercevais la face noire de quelque charbonnier du Piémont; mais c’étaient des gens naïfs, silencieux à force de solitude, ayant perdu le goût de parler et ne sachant rien de ce qui se disait en bas dans les villages et les villes. Aussi, tous les quinze jours, lorsque j’entendais, sur le qui monte, les sonnailles du mulet de notre ferme m’apportant les provisions de quinzaine, et que je voyais apparaître peu à peu, au-dessus de la côte, la tête éveillée du petit miarro (garçon de ferme), ou la coiffe rousse de la vieille tante Norade, j’étais vraiment bien heureux. Je me faisais raconter les nouvelles du pays d’en bas, les baptêmes, les mariages; mais ce qui m’intéressait surtout, c’était de savoir ce que devenait la fille de mes maîtres, notre demoiselle Stéphanette, la plus jolie qu’il y eût à dix lieues à la ronde. Sans avoir l’air d’y prendre trop d’intérêt, je m’informais si elle allait beaucoup aux fêtes, aux veillées, s’il lui venait toujours de nouveaux galants; et à ceux qui me demanderont ce que ces choses-là pouvaient me faire, à moi pauvre berger de la montagne, je répondrai que j’avais vingt ans et que cette Stéphanette était ce que j’avais vu de plus beau dans ma vie.

Or, un dimanche que j’attendais les vivres de quinzaine, il se trouva qu’ils n’arrivèrent que très tard. Le matin je me disais: «C’est la faute de la grand’messe;» puis, vers midi, il vint un gros orage, et je pensai que la mule n’avait pas pu se mettre en route à cause du mauvais état des chemins. Enfin, sur les trois heures, le ciel étant lavé, la montagne luisante d’eau et de soleil, j’entendis parmi l’égouttement des feuilles et le débordement des ruisseaux gonflés les sonnailles de la mule, aussi gaies, aussi alertes qu’un grand carillon de cloches un jour de Pâques. Mais ce n’était pas le petit miarro, ni la vieille Norade qui la conduisait. C’était… devinez qui!… notre demoiselle, mes enfants! notre demoiselle en personne, assise droite entre les sacs d’osier, toute rose de l’air des montagnes et du rafraîchissement de l’orage.

Le petit était malade, tante Norade en vacances chez ses enfants. La belle Stéphanette m’apprit tout ça, en descendant de sa mule, et aussi qu’elle arrivait tard parce qu’elle s’était perdue en route; mais à la voir si bien endimanchée, avec son ruban à fleurs, sa jupe brillante et ses dentelles, elle avait plutôt l’air de s’être attardée à quelque danse que d’avoir cherché son chemin dans les buissons. Ô la mignonne créature! Mes yeux ne pouvaient se lasser de la regarder. Il est vrai que je ne l’avais jamais vue de si près. Quelquefois l’hiver, quand les troupeaux étaient descendus dans la plaine et que je rentrais le soir à la ferme pour souper, elle traversait la salle vivement, sans guère parler aux serviteurs, toujours parée et un peu fière… Et maintenant je l’avais là devant moi, rien que pour moi; n’était-ce pas à en perdre la tête?

Quand elle eut tiré les provisions du panier, Stéphanette se mit à regarder curieusement autour d’elle. Relevant un peu sa belle jupe du dimanche qui aurait pu s’abîmer, elle entra dans le parc, voulut voir le coin où je couchais, la crèche de paille avec la peau de mouton, ma grande cape accrochée au mur, ma crosse, mon fusil à pierre. Tout cela l’amusait.

Alors c’est ici que tu vis, mon pauvre berger? Comme tu dois t’ennuyer d’être toujours seul! Qu’est-ce que tu fais? À quoi penses-tu?…

J’avais envie de répondre: «À vous, maîtresse,» et je n’aurais pas menti; mais mon trouble était si grand que je ne pouvais pas seulement trouver une parole. Je crois bien qu’elle s’en apercevait, et que la méchante prenait plaisir à redoubler mon embarras avec ses malices:

Et ta bonne amie, berger, est-ce qu’elle monte te voir quelquefois?… Ça doit être bien sûr la chèvre d’or, ou cette fée Estérelle qui ne court qu’à la pointe des montagnes…

Et elle-même, en me parlant, avait bien l’air de la fée Estérelle, avec le joli rire de sa tête renversée et sa hâte de s’en aller qui faisait de sa visite une apparition.

Adieu, berger.

Salut, maîtresse.

Et la voilà partie, emportant ses corbeilles vides.

Lorsqu’elle disparut dans le sentier en pente, il me semblait que les cailloux, roulant sous les sabots de la mule, me tombaient un à un sur le cœur. Je les entendis longtemps, longtemps; et jusqu’à la fin du jour je restai comme ensommeillé, n’osant bouger, de peur de faire en aller mon rêve. Vers le soir, comme le fond des vallées commençait à devenir bleu et que les bêtes se serraient en bêlant l’une contre l’autre pour rentrer au parc, j’entendis qu’on m’appelait dans la descente, et je vis paraître notre demoiselle, non plus rieuse ainsi que tout à l’heure, mais tremblante de froid, de peur, de mouillure. Il paraît qu’au bas de la côte elle avait trouvé la Sorgue grossie par la pluie d’orage, et qu’en voulant passer à toute force elle avait risqué de se noyer. Le terrible, c’est qu’à cette heure de nuit il ne fallait plus songer à retourner à la ferme; car le chemin par la traverse, notre demoiselle n’aurait jamais su s’y retrouver toute seule, et moi je ne pouvais pas quitter le troupeau. Cette idée de passer la nuit sur la montagne la tourmentait beaucoup, surtout à cause de l’inquiétude des siens. Moi, je la rassurais de mon mieux:

En juillet, les nuits sont courtes, maîtresse… Ce n’est qu’un mauvais moment.

Et j’allumai vite un grand feu pour sécher ses pieds et sa robe toute trempée de l’eau de la Sorgue. Ensuite j’apportai devant elle du lait, des fromageons; mais la pauvre petite ne songeait ni à se chauffer, ni à manger, et de voir les grosses larmes qui montaient dans ses yeux, j’avais envie de pleurer, moi aussi. 

Cependant la nuit était venue tout à fait. Il ne restait plus sur la crête des montagnes qu’une poussière de soleil, une vapeur de lumière du côté du couchant. Je voulus que notre demoiselle entrât se reposer dans le parc. Ayant étendu sur la paille fraîche une belle peau toute neuve, je lui souhaitai la bonne nuit, et j’allai m’asseoir dehors devant la porte… Dieu m’est témoin que, malgré le feu d’amour qui me brûlait le sang, aucune mauvaise pensée ne me vint; rien qu’une grande fierté de songer que dans un coin du parc, tout près du troupeau curieux qui la regardait dormir, la fille de mes maîtres, — comme une brebis plus précieuse et plus blanche que toutes les autres, — reposait, confiée à ma garde. Jamais le ciel ne m’avait paru si profond, les étoiles si brillantes… Tout à coup, la claire-voie du parc s’ouvrit et la belle Stéphanette parut. Elle ne pouvait pas dormir. Les bêtes faisaient crier la paille en remuant, ou bêlaient dans leurs rêves. Elle aimait mieux venir près du feu. Voyant cela, je lui jetai ma peau de bique sur les épaules, j’activai la flamme, et nous restâmes assis l’un près de l’autre sans parler. Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu’à l’heure où nous dormons, un monde mystérieux s’éveille dans la solitude et le silence. Alors les sources chantent bien plus clair, les étangs allument des petites flammes. Tous les esprits de la montagne vont et viennent librement; et il y a dans l’air des frôlements, des bruits imperceptibles, comme si l’on entendait les branches grandir, l’herbe pousser. Le jour, c’est la vie des êtres; mais la nuit, c’est la vie des choses. Quand on n’en a pas l’habitude, ça fait peur… Aussi notre demoiselle était toute frissonnante et se serrait contre moi au moindre bruit. Une fois, un cri long, mélancolique, parti de l’étang qui luisait plus bas, monta vers nous en ondulant. Au même instant une belle étoile filante glissa par-dessus nos têtes dans la même direction, comme si cette plainte que nous venions d’entendre portait une lumière avec elle.

Qu’est-ce que c’est? me demanda Stéphanette à voix basse.

Une âme qui entre en paradis, maîtresse; et je fis le signe de la croix.

Elle se signa aussi, et resta un moment la tête en l’air, très recueillie. Puis elle me dit:

C’est donc vrai, berger, que vous êtes sorciers, vous autres?

Nullement, notre demoiselle. Mais ici nous vivons plus près des étoiles, et nous savons ce qui s’y passe mieux que des gens de la plaine.

Elle regardait toujours en haut, la tête appuyée dans la main, entourée de la peau de mouton comme un petit pâtre céleste:

Qu’il y en a! Que c’est beau! Jamais je n’en avais tant vu… Est-ce que tu sais leurs noms, berger?

Mais oui, maîtresse… Tenez! juste au-dessus de nous, voilà le Chemin de Saint Jacques (la voie lactée). Il va de France droit sur l’Espagne. C’est saint Jacques de Galice qui l’a tracé pour montrer sa route au brave Charlemagne lorsqu’il faisait la guerre aux Sarrasins. Plus loin, vous avez le Char des âmes (la grande Ourse) avec ses quatre essieux resplendissants. Les trois étoiles qui vont devant sont les Trois bêtes, et cette toute petite contre la troisième c’est le Charretier. Voyez-vous tout autour cette pluie d’étoiles qui tombent? ce sont les âmes dont le bon Dieu ne veut pas chez lui… Un peu plus bas, voici le Râteau ou les Trois rois (Orion). C’est ce qui nous sert d’horloge, à nous autres. Rien qu’en les regardant, je sais maintenant qu’il est minuit passé. Un peu plus bas, toujours vers le midi, brille Jean de Milan, le flambeau des astres (Sirius). Sur cette étoile-là, voici ce que les bergers racontent. Il paraît qu’une nuit Jean de Milan, avec les Trois rois et la Poussinière (la Pléiade), furent invités à la noce d’une étoile de leurs amies. La Poussinière, plus pressée, partit, dit-on, la première, et prit le chemin haut. Regardez-la, là-haut, tout au fond du ciel. Les Trois rois coupèrent plus bas et la rattrapèrent ; mais ce paresseux de Jean de Milan, qui avait dormi trop tard, resta tout à fait derrière, et furieux, pour les arrêter, leur jeta son bâton. C’est pourquoi les Trois rois s’appellent aussi le Bâton de Jean de Milan Mais la plus belle de toutes les étoiles, maîtresse, c’est la nôtre, c’est l’Étoile du berger, qui nous éclaire à l’aube quand nous sortons le troupeau, et aussi le soir quand nous le rentrons. Nous la nommons encore Maguelonne, la belle Maguelonne qui court après Pierre de Provence (Saturne) et se marie avec lui tous les sept ans.

Comment! berger, il y a donc des mariages d’étoiles?

Mais oui, maîtresse.

Et comme j’essayais de lui expliquer ce que c’était que ces mariages, je sentis quelque chose de frais et de fin peser légèrement sur mon épaule. C’était sa tête alourdie de sommeil qui s’appuyait contre moi avec un joli froissement de rubans, de dentelles et de cheveux ondés. Elle resta ainsi sans bouger jusqu’au moment où les astres du ciel pâlirent, effacés par le jour qui montait. Moi, je la regardais dormir, un peu troublé au fond de mon être, mais saintement protégé par cette claire nuit qui ne m’a jamais donné que de belles pensées. Autour de nous, les étoiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau; et par moments je me figurais qu’une de ces étoiles, la plus fine, la plus brillante, ayant perdu sa route, était venue se poser sur mon épaule pour dormir…

LAS ESTRELLAS
Relato de un pastor provenzal

En el tiempo en que guardaba los animales en el Luberon, permanecía semanas enteras sin ver alma viva, solo en los pastos con mi perro Labri y mi rebaño. De vez en cuando, el ermitaño de Mont-de-l´Ure pasaba por allí buscando hierbas, o bien distinguía la cara negra de algún carbonero de Piémont; pero era gente inocente, silenciosa a fuerza de estar sola, que le había perdido el gusto al diálogo y que no sabía nada de lo que se decía allí abajo en los pueblos y en las ciudades. Así, cada quince días, cuando yo oía, con quien subía, los cencerros del mulo de nuestra granja que me traía las provisiones para la quincena, y cuando veía aparecer poco a poco, por encima de la cuesta, la cabeza despierta del pequeño miarro (criado de la granja), o la cofia rojiza de la vieja tía Norade, era verdaderamente feliz. Hacía que me contaran las novedades del lugar, los bautismos, las bodas; pero lo que me interesaba sobre todo era saber cómo le iba a la hija de mis señores, nuestra señorita Stéphanette, la más bonita que hay a diez leguas a la redonda. Sin dejar ver demasiado interés, me informaba si ella iba mucho a las fiestas, a las veladas, si se le acercaban todavía nuevos galanes; y a quienes me preguntaban qué podían importarme esas cosas, a mí, un pobre pastor de la montaña, les respondía que yo tenía veinte años, y que Stéphanette era lo más bonito que yo había visto en mi vida.

Pues bien, un domingo que esperaba los víveres de la quincena, sucedió que llegaron muy tarde. Por la mañana me decía: “Es a causa de la misa mayor”; luego, hacia mediodía, hubo una gran tormenta, y pensé que la mula no había podido ponerse en camino a causa del mal estado de los caminos. En fin, sobre las tres, cuando el cielo estaba despejado y la montaña brillaba de agua y sol, oí entre el goteo de las hojas y el desbordamiento de los arroyos llenos, los cencerros de la mula, tan alegres, tan alertas como un carillón de campanas un día de Pascua. Pero no venían ni el pequeño miarro, ni la vieja Norade que lo guiaba. Era… ¡adivinadlo!… ¡nuestra señorita, hijos míos!, nuestra señorita en persona, sentada derecha entre los sacos de mimbre, completamente rosa por el aire de las montañas y el frescor de la tormenta.

El pequeño estaba enfermo, la tía Norade, de vacaciones con sus hijos. La hermosa Stéphanette me comentó todo eso, bajando de la mula, y también que llegaba tarde porque se había perdido en el camino; pero viéndola tan endomingada, con su turbante de flores, su falda brillante y sus encajes, más parecía que se había entretenido en algún baile que no que había tenido que buscar el camino entre los matorrales. ¡Oh, qué linda criatura! Mis ojos no podían cansarse de mirarla. Es verdad que yo no la había visto nunca tan cerca. Algunas veces, durante el invierno, cuando los rebaños bajaban a la llanura, y yo regresaba por la noche a la granja para cenar, ella cruzaba la sala vivamente, sin casi hablarles a los criados, siempre arreglada y un poco orgullosa… Y ahora la tenía delante de mí, solo para mí; ¿no era para perder la cabeza?

Tras sacar las provisiones de la cesta, Stéphanette se puso a mirar curiosamente a su alrededor. Levantando un poco su bonita falda de domingo que habría podido estropearse, entró en el parc, quiso ver el sitio donde yo dormía, el jergón de paja con la piel de oveja, mi gran capa colgada en la pared, mi cayado, mi fusil de perdernal. Todo eso le divertía.

– Entonces, ¿aquí es donde vives, pobre pastor mío? ¡Cuánto tienes que aburrirte siempre solo! ¿Qué haces? ¿Qué piensas?…

Yo tenía ganas de responderle: “En usted, señora,” y no habría mentido; pero mi turbación era tan grande, que no encontraba ni una palabra. Creo que ella se daba cuenta, y que a la malvada le agradaba aumentar mi embarazo con sus malicias:

– ¿Y tu amiga, pastor, sube a verte alguna vez?… Seguro que es la cabra de oro, o esta hada Estérelle que solo corre por el pico de las montañas…

Y ella misma, hablándome, parecía el hada Estérelle, con la bonita risa de su cabeza echada hacia atrás y su prisa por marcharse, lo que hacía de su visita una aparición.

– Adiós, pastor.

– Salud, señora.

Y he ahí que ya se había marchado, llevándose sus canastas vacías.

Cuando ella desapareció en el sendero en pendiente, me parecía que las piedras, rodando bajo los cascos de la mula, me caían una tras otra sobre el corazón. Las oí durante mucho tiempo, mucho tiempo; y hasta el final del día me quedé como adormecido, no osando moverme, de miedo a perder mi sueño. Por la tarde, cuando el fondo de los valles comenzaba a azulear, y los animales se apretaban balando el uno contra el otro para regresar al parc, oí que me llamaban desde la cuesta, y vi aparecer a nuestra señorita, ya no tan sonriente como antes, sino temblorosa de frío, de miedo, de lluvia. Parece ser que allí abajo había encontrado el Sorgue crecido por la lluvia de la tormenta, y que al querer vadearlo a la fuerza, había estado a punto de ahogarse. Lo terrible era que a esa hora de la noche no había que soñar con volver a la granja; pues por el atajo nuestra señorita no hubiera sabido orientarse sola, y yo no podía abandonar el rebaño. Esta idea de pasar la noche en la montaña la atormentaba mucho, sobre todo a causa de la inquietud de los suyos. Yo la tranquilizaba como mejor podía:

– En julio, las noches son cortas, señora… Solo es un mal momento.

Y encendí rápido un gran fuego para que se secara los pies y la ropa completamente empapada por el agua del Sorgue. Enseguida le llevé leche y queso de cabra; pero la pobre ni en sueños podía calentarse, ni comer; viendo las abundantes lágrimas que brotaban de sus ojos, también yo tenía ganas de llorar.

Sin embargo, la noche había venido del todo. Solo quedaban en la cima de las montañas limaduras de sol, un vapor de luz hacia el lado de poniente. Quise que nuestra señorita entrara a descansar en el parc. Después de haber extendido sobre la paja una buena piel completamente nueva, le deseé buenas noches, y fui a sentarme fuera, delante de la puerta… Dios es testigo de que, a pesar del fuego del amor que me quemaba la sangre, ningún mal pensamiento se me ocurrió; solo un gran orgullo de considerar que en un rincón del parc, cerca del rebaño curioso que la miraba dormir, la hija de mis señores, – como una oveja más preciosa y más blanca que todas las demás, – descansaba, confiada a mi guardia. Nunca me había parecido el cielo tan profundo, ni las estrellas, tan brillantes… De pronto, la verja del parc se abrió, y apareció la hermosa Stépnanette. No podía dormir. Los animales hacían ruido con la paja al moverse, o balaban en sus sueños. Prefería venirse junto al fuego. Viendo eso, le eché mi piel de cabra sobre los hombros, avi la lumbre, y nos quedamos sentados uno cerca del otro sin hablar.  Si vosotros habéis pasado alguna vez la noche al sereno, sabéis que durante las horas en que dormimos, un mundo misterioso se despierta en la soledad y el silencio. Entonces, los manantiales cantan mucho más claro, los estanques encienden sus llamas. Todos los espíritus de la montaña van y vienen libremente; y hay en el aire, roces, ruidos imperceptibles, como si se oyeran crecer las ramas, brotar la hierba. El día es para la vida de los seres; pero la noche es para la vida de las cosas. Cuando no se tiene costumbre, da miedo… Por ello, nuestra señorita estaba toda temblorosa y se apretaba contra mí al menor ruido. Una vez, un grito largo, melancólico, que venía del estanque que lucía abajo, subió hasta nosotros ondeando. Al mismo tiempo, una hermosa estrella fugaz se deslizó por detrás de nuestras cabezas en la misma dirección, como si este lamento que acabábamos de oír llevara consigo una luz.

– ¿Qué es eso?, me preguntó Stéphanette en voz baja.

– Un alma que entra en el paraíso, señora; e hice la señal de la cruz.

Ella se persignó también, y se quedó un momento con la cabeza al aire, muy recogida. Luego, me dijo:

– ¿Es, entonces, verdad que vosotros sois brujos?

– En modo alguno, señorita nuestra. Pero aquí vivimos más cerca de las estrellas, y sabemos lo que pasa mejor que la gente de la llanura.

Ella miraba siempre hacia arriba, con la cabeza apoyada en la mano, envuelta en la piel de cordero como un pastorcito celeste:

– ¡Cuántas hay! ¿Qué hermoso es! Nunca había visto tantas… ¿Sabes sus nombres, pastor?

– Claro que sí, señora… ¡Mire!, justo encima de nosotros el Camino de Santiago (la vía láctea). Va desde Francia derecho a España. Es Santiago de Galicia quien la ha trazado para mostrarle el camino al valiente Carlomagno cuando les hacía la guerra a los árabes. Más lejos, tiene el Carro de las almas (la Osa Mayor) con sus cuatro ejes resplandecientes. Las tres estrellas que van delante son las Tres acémilas, y esta pequeña frente a la tercera es el Cochero. ¿Ve a su alrededor esta luvia de estrellas que caen?, son las almas cuya compañía no quiere el buen Dios… Un poco más abajo, está el Rastrillo o los Tres Reyes (Orión). Es la que nos sirve de reloj a nosotros. Solo mirándola, sé que ahora es medianoche pasada. Un poco más abajo, siempre hacia el sur, brilla Jean de Milán, la antorcha de los astros (Sirio). Sobre esta estrella, los pastores cuentan la siguiente historia. Parece ser que una noche Jean de Milán, los Tres Reyes y la Pollera (la Pléyade) fueron invitados al matrimonio de una estrella amiga. La Pollera, más apresurada, se marchó, dicen, la primera, y cogió el camino alto. Los Tres Reyes cortaron más abajo y la alcanzaron; pero el perezoso Jean de Milán, que había dormido hasta demasiado tarde, se quedó completamente atrás, y furioso, para detenerlos, les arrojó su bastón. Y es por eso por lo que los Tres Reyes se llaman también el Bastón de Jean de Milan Pero la más bonita de todas las estrellas, señora, es la nuestra, es la Estrella del pastor, que nos ilumina al alba cuando sacamos al rebaño, y también por la tarde cuando regresamos. Nosotros la llamamos también Maguelone, la hermosa Maguelone que corre siempre cerca de Pierre de Provence (Saturno) y se casa con él cada siete años.

– ¡Cómo!, pastor, ¿hay matrimonios de estrellas?

– Claro que sí, señora.

Y cuando yo trataba de explicarle lo que eran esos matrimonios, sentí que pesaba ligeramente en mi hombro algo fresco y fino. Era su cabeza llena de sueño que se apoyaba en mí con un bonito pliegue de turbantes, encajes y cabellos ondulados. Se quedó así sin moverse hasta el momento en que los astros del cielo palidecieron, borrados por el día que subía. Yo la miraba dormir, un poco turbado en el fondo de mi ser, pero santamente protegido por esta clara noche que solo me ha dado siempre hermosos pensamientos. Alrededor de nosotros, las estrellas continuaban su camino silencioso, dóciles como un gran rebaño; y a veces me imaginaba que una de esas estrellas, la más fina, la más brillante, habiendo perdido su camino, había venido a posarse en mi hombro para dormir…

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