Página dedicada a mi madre, julio de 2020

Anatole France

Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables

1904

Textes: Crainquebille, Putois, Riquet, Pensées de Riquet

 

 

CRAINQUEBILLE

I

     La majesté de la justice réside tout entière dans chaque sentence rendue par le juge au nom du peuple souverain. Jérôme Crainquebille, marchand ambulant, connut combien la loi est auguste, quand il fut traduit en police correctionnelle pour outrage à un agent de la force publique. Ayant pris place, dans la salle magnifique et sombre, sur le banc des accusés, il vit les juges, les greffiers, les avocats en robe, l’huissier portant la chaîne, les gendarmes et, derrière une cloison, les têtes nues des spectateurs silencieux. Et il se vit lui-même assis sur un siège élevé, comme si de paraître devant des magistrats l’accusé lui-même en recevait un funeste honneur. Au fond de la salle, entre les deux assesseurs, M. le président Bourriche siégeait. Les palmes d’officier d’académie étaient attachées sur sa poitrine. Un buste de la République et un Christ en croix surmontaient le prétoire, en sorte que toutes les lois divines et humaines étaient suspendues sur la tête de Crainquebille. Il en conçut une juste terreur. N’ayant point l’esprit philosophique, il ne se demanda pas ce que voulaient dire ce buste et ce crucifix et il ne rechercha pas si Jésus et Marianne, au Palais, s’accordaient ensemble. C’était pourtant matière à réflexion, car enfin la doctrine pontificale et le droit canon sont opposés, sur bien des points, à la Constitution de la République et au Code civil. Les Décrétales n’ont point été abolies, qu’on sache. L’Église du Christ enseigne comme autrefois que seuls sont légitimes les pouvoirs auxquels elle a donné l’investiture. Or la République française prétend encore ne pas relever de la puissance pontificale. Crainquebille pouvait dire avec quelque raison:

     — Messieurs mes juges, le Président Loubet n’étant pas oint, ce Christ, pendu sur vos têtes, vous récuse par l’organe des Conciles et des Papes. Ou il est ici pour vous rappeler les droits de l’Église, qui infirment les vôtres, ou sa présence n’a aucune signification raisonnable.

     À quoi le président Bourriche aurait peut-être répondu:

     — Inculpé Crainquebille, les rois de France ont toujours été brouillés avec le Pape. Guillaume de Nogaret fut excommunié et ne se démit pas de ses charges pour si peu. Le Christ du prétoire n’est pas le Christ de Grégoire VII et de Boniface VIII. C’est, si vous voulez, le Christ de l’Évangile, qui ne savait pas un mot de droit canon et n’avait jamais entendu parler des sacrées Décrétales.

     Alors il était loisible à Crainquebille de répondre:

    — Le Christ de l’Évangile était un bousingot. De plus, il subit une condamnation que, depuis dix-neuf cents ans, tous les peuples chrétiens considèrent comme une grave erreur judiciaire. Je vous défie bien, monsieur le président, de me condamner, en son nom, seulement à quarante-huit heures de prison.

     Mais Crainquebille ne se livrait à aucune considération historique, politique ou sociale. Il demeurait dans l’étonnement. L’appareil dont il était environné lui faisait concevoir une haute idée de la justice. Pénétré de respect, submergé d’épouvante, il était prêt à s’en rapporter aux juges sur sa propre culpabilité. Dans sa conscience, il ne se croyait pas criminel; mais il sentait combien c’est peu que la conscience d’un marchand de légumes devant les symboles de la loi et les ministres de la vindicte sociale. Déjà son avocat l’avait à demi persuadé qu’il n’était pas innocent.

     Une instruction sommaire et rapide avait relevé les charges qui pesaient sur lui.

II. L’AVENTURE DE CRAINQUEBILLE

     Jérôme Crainquebille, marchand des quatre-saisons, allait par la ville, poussant sa petite voiture et criant: Des choux, des navets, des carottes! Et, quand il avait des poireaux, il criait: Bottes d’asperges! parce que les poireaux sont les asperges du pauvre. Or, le 20 octobre, à l’heure de midi, comme il descendait la rue Montmartre, madame Bayard, la cordonnière, sortit de sa boutique et s’approcha de la voiture légumière. Soulevant dédaigneusement une botte de poireaux: 

     — Ils ne sont guère beaux, vos poireaux. Combien la botte?

     — Quinze sous, la bourgeoise. Y a pas meilleur.

     — Quinze sous, trois mauvais poireaux?

     Et elle rejeta la botte dans la charrette, avec un geste de dégoût.

     C’est alors que l’agent 64 survint et dit à Crainquebille:

     — Circulez!

     Crainquebille, depuis cinquante ans, circulait du matin au soir. Un tel ordre lui sembla légitime et conforme à la nature des choses. Tout disposé à y obéir, il pressa la bourgeoise de prendre ce qui était à sa convenance.

     — Faut encore que je choisisse la marchandise, répondit aigrement la cordonnière.

     Et elle tâta de nouveau toutes les bottes de poireaux, puis elle garda celle qui lui parut la plus belle et elle la tint contre son sein comme les saintes, dans les tableaux d’église, pressent sur leur poitrine la palme triomphale.

     — Je vas vous donner quatorze sous. C’est bien assez. Et encore il faut que j’aille les chercher dans la boutique, parce que je ne les ai pas sur moi.

     Et, tenant ses poireaux embrassés, elle rentra dans la cordonnerie où une cliente, portant un enfant, l’avait précédée.

     À ce moment l’agent 64 dit pour la deuxième fois à Crainquebille:

     — Circulez!

     — J’attends mon argent, répondit Crainquebille.

     — Je ne vous dis pas d’attendre votre argent; je vous dis de circuler, reprit l’agent avec fermeté.

     Cependant la cordonnière, dans sa boutique, essayait des souliers bleus à un enfant de dix-huit mois dont la mère était pressée. Et les têtes vertes des poireaux reposaient sur le comptoir.

     Depuis un demi-siècle qu’il poussait sa voiture dans les rues, Crainquebille avait appris à obéir aux représentants de l’autorité. Mais il se trouvait cette fois dans une situation particulière, entre un devoir et un droit. Il n’avait pas l’esprit juridique. Il ne comprit pas que la jouissance d’un droit individuel ne le dispensait pas d’accomplir un devoir social. Il considéra trop son droit qui était de recevoir quatorze sous, et il ne s’attacha pas assez à son devoir qui était de pousser sa voiture et d’aller plus avant et toujours plus avant. Il demeura.

     Pour la troisième fois, l’agent 64, tranquille et sans colère, lui donna l’ordre de circuler. Contrairement à la coutume du brigadier Montauciel, qui menace sans cesse et ne sévit jamais, l’agent 64 est sobre d’avertissements et prompt à verbaliser. Tel est son caractère. Bien qu’un peu sournois, c’est un excellent serviteur et un loyal soldat. Le courage d’un lion et la douceur d’un enfant. Il ne connaît que sa consigne.

     — Vous n’entendez donc pas, quand je vous dis de circuler!

     Crainquebille avait de rester en place une raison trop considérable à ses yeux pour qu’il ne la crût pas suffisante. Il l’exposa simplement et sans art:

     — Nom de nom! puisque je vous dis que j’attends mon argent.

     L’agent 64 se contenta de répondre:

     — Voulez-vous que je vous f… une contravention? Si vous le voulez, vous n’avez qu’à le dire.

     En entendant ces paroles, Crainquebille haussa lentement les épaules et coula sur l’agent un regard douloureux qu’il éleva ensuite vers le ciel. Et ce regard disait:

     «Que Dieu me voie! Suis-je un contempteur des lois? Est-ce que je me ris des décrets et des ordonnances qui régissent mon état ambulatoire? À cinq heures du matin, j’étais sur le carreau des Halles. Depuis sept heures, je me brûle les mains à mes brancards en criant: Des choux, des navets, des carottes! J’ai soixante ans sonnés. Je suis las. Et vous me demandez si je lève le drapeau noir de la révolte. Vous vous moquez et votre raillerie est cruelle.»

     Soit que l’expression de ce regard lui eût échappé, soit qu’il n’y trouvât pas une excuse à la désobéissance, l’agent demanda d’une voix brève et rude si c’était compris.

     Or, en ce moment précis, l’embarras des voitures était extrême dans la rue Montmartre. Les fiacres, les haquets, les tapissières, les omnibus, les camions, pressés les uns contre les autres, semblaient indissolublement joints et assemblés. Et sur leur immobilité frémissante s’élevaient des jurons et des cris. Les cochers de fiacre échangeaient de loin, et lentement, avec les garçons bouchers des injures héroïques, et les conducteurs d’omnibus, considérant Crainquebille comme la cause de l’embarras, l’appelaient « sale poireau ».

     Cependant sur le trottoir, des curieux se pressaient, attentifs à la querelle. Et l’agent, se voyant observé, ne songea plus qu’à faire montre de son autorité.

     — C’est bon, dit-il.

     Et il tira de sa poche un calepin crasseux et un crayon très court.

     Crainquebille suivait son idée et obéissait à une force intérieure. D’ailleurs il lui était impossible maintenant d’avancer ou de reculer. La roue de sa charrette était malheureusement prise dans la roue d’une voiture de laitier.

     Il s’écria, en s’arrachant les cheveux sous sa casquette:

     — Mais, puisque je vous dis que j’attends mon argent! C’est-il pas malheureux! Misère de misère! Bon sang de bon sang!

     Par ces propos, qui pourtant exprimaient moins la révolte que le désespoir, l’agent 64 se crut insulté. Et comme, pour lui, toute insulte revêtait nécessairement la forme traditionnelle, régulière, consacrée, rituelle et pour ainsi dire liturgique de « Mort aux vaches! » c’est sous cette forme que spontanément il recueillit et concréta dans son oreille les paroles du délinquant.

     — Ah! vous avez dit : «Mort aux vaches !» C’est bon. Suivez-moi.

     Crainquebille, dans l’excès de la stupeur et de la détresse, regardait avec ses gros yeux brûlés du soleil l’agent 64, et de sa voix cassée, qui lui sortait tantôt de dessus la tête et tantôt de dessous les talons, s’écriait, les bras croisés sur sa blouse bleue:

     — J’ai dit: « Mort aux vaches»? Moi ?… Oh!

     Cette arrestation fut accueillie par les rires des employés de commerce et des petits garçons. Elle contentait le goût que toutes les foules d’hommes éprouvent pour les spectacles ignobles et violents. Mais, s’étant frayé un passage à travers le cercle populaire, un vieillard très triste, vêtu de noir et coiffé d’un chapeau de haute forme, s’approcha de l’agent et lui dit très doucement et très fermement, à voix basse:

     — Vous vous êtes mépris. Cet homme ne vous a pas insulté.

     — Mêlez-vous de ce qui vous regarde, lui répondit l’agent, sans proférer de menaces, car il parlait à un homme proprement mis.

     Le vieillard insista avec beaucoup de calme et de ténacité. Et l’agent lui intima l’ordre de s’expliquer chez le commissaire.

     Cependant Crainquebille s’écriait:

     – Alors que j’ai dit «Mort aux vaches!» Oh!…

     Il prononçait ces paroles étonnées quand madame Bayard, la cordonnière, vint à lui, les quatorze sous dans la main. Mais déjà l’agent 64 le tenait au collet, et madame Bayard, pensant qu’on ne devait rien à un homme conduit au poste, mit les quatorze sous dans la poche de son tablier.

     Et, voyant tout à coup sa voiture en fourrière, sa liberté perdue, l’abîme sous ses pas et le soleil éteint, Crainquebille murmura:

     — Tout de même!…

     Devant le commissaire, le vieillard déclara que, arrêté sur son chemin par un embarras de voitures, il avait été témoin de la scène et qu’il affirmait que l’agent n’avait pas été insulté, et qu’il s’était totalement mépris. Il donna ses nom et qualités: docteur David Matthieu, médecin en chef de l’hôpital Ambroise-Paré, officier de la Légion d’honneur. En d’autres temps, un tel témoignage aurait suffisamment éclairé le commissaire. Mais alors, en France, les savants étaient suspects.

     Crainquebille, dont l’arrestation fut maintenue, passa la nuit au violon et fut transféré, le matin, dans le panier à salade, au Dépôt.

     La prison ne lui parut ni douloureuse ni humiliante. Elle lui parut nécessaire. Ce qui le frappa en entrant ce fut la propreté des murs et du carrelage. Il dit:

     — Pour un endroit propre, c’est un endroit propre. Vrai de vrai! On mangerait par terre.

     Laissé seul, il voulut tirer son escabeau; mais il s’aperçut qu’il était scellé au mur. Il en exprima tout haut sa surprise:

     — Quelle drôle d’idée! Voilà une chose que j’aurais pas inventée, pour sûr.

     S’étant assis, il tourna ses pouces et demeura dans l’étonnement. Le silence et la solitude l’accablaient. Il s’ennuyait et il pensait avec inquiétude à sa voiture mise en fourrière encore toute chargée de choux, de carottes, de céleri, de mâche et de pissenlit. Et il se demandait anxieux:

     — Où qu’ils m’ont étouffé ma voiture?

     Le troisième jour, il reçut la visite de son avocat, maître Lemerle, un des plus jeunes membres du barreau de Paris, président d’une des sections de la «Ligue de la Patrie française».

     Crainquebille essaya de lui conter son affaire, ce qui ne lui était pas facile, car il n’avait pas l’habitude de la parole. Peut-être s’en serait-il tiré pourtant, avec un peu d’aide. Mais son avocat secouait la tête d’un air méfiant à tout ce qu’il disait, et feuilletant des papiers, murmurait:

     — Hum! hum! je ne vois rien de tout cela au dossier…

     Puis, avec un peu de fatigue, il dit en frisant sa moustache blonde:

     — Dans votre intérêt, il serait peut-être préférable d’avouer. Pour ma part j’estime que votre système de dénégations absolues est d’une insigne maladresse.

     Et dès lors Crainquebille eût fait des aveux s’il avait su ce qu’il fallait avouer.

 

III. CRAINQUEBILLE DEVANT LA JUSTICE

     Le président Bourriche consacra six minutes pleines à l’interrogatoire de Crainquebille. Cet interrogatoire aurait apporté plus de lumière si l’accusé avait répondu aux questions qui lui étaient posées. Mais Crainquebille n’avait pas l’habitude de la discussion, et dans une telle compagnie le respect et l’effroi lui fermaient la bouche. Aussi gardait-il le silence, et le président faisait lui-même les réponses; elles étaient accablantes. Il conclut:

     Enfin, vous reconnaissez avoir dit: «Mort aux vaches!»

     — J’ai dit: «Mort aux vaches!» parce que monsieur l’agent a dit: «Mort aux vaches!» Alors j’ai dit: «Mort aux vaches!»

     Il voulait faire entendre qu’étonné par l’imputation la plus imprévue, il avait, dans sa stupeur, répété les paroles étranges qu’on lui prêtait faussement et qu’il n’avait certes point prononcées. Il avait dit: « Mort aux vaches! » comme il eût dit: « Moi! tenir des propos injurieux, l’avez-vous pu croire? »

     Le président Bourriche ne le prit pas ainsi.

     — Prétendez-vous, dit-il, que l’agent a proféré ce cri le premier?

     Crainquebille renonça à s’expliquer. C’était trop difficile.

     — Vous n’insistez pas. Vous avez raison, dit le président.

     Et il fit appeler les témoins.

     L’agent 64, de son nom Bastien Matra, jura de dire la vérité et de ne rien dire que la vérité. Puis il déposa en ces termes:

     — Étant de service le 20 octobre, à l’heure de midi, je remarquai, dans la rue Montmartre, un individu qui me sembla être un vendeur ambulant et qui tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 328, ce qui occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois l’ordre de circuler, auquel il refusa d’obtempérer. Et sur ce que je l’avertis que j’allais verbaliser, il me répondit en criant: «Mort aux vaches!» ce qui me sembla être injurieux.

     Cette déposition, ferme et mesurée, fut écoutée avec une évidente faveur par le Tribunal. La défense avait cité madame Bayard, cordonnière, et M. David Matthieu, médecin en chef de l’hôpital Ambroise-Paré, officier de la Légion d’honneur. Madame Bayard n’avait rien vu ni entendu. Le docteur Matthieu se trouvait dans la foule assemblée autour de l’agent qui sommait le marchand de circuler. Sa déposition amena un incident.

     — J’ai été témoin de la scène, dit-il. J’ai remarqué que l’agent s’était mépris: il n’avait pas été insulté. Je m’approchai et lui en fis l’observation. L’agent maintint le marchand en état d’arrestation et m’invita à le suivre au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai ma déclaration devant le commissaire.

     — Vous pouvez vous asseoir, dit le président. Huissier, rappelez le témoin Matra.

     — Matra, quand vous avez procédé à l’arrestation de l’accusé, monsieur le docteur Matthieu ne vous a-t-il pas fait observer que vous vous mépreniez?

     — C’est-à-dire, monsieur le président, qu’il m’a insulté.

     — Que vous a-t-il dit?

     — Il m’a dit: « Mort aux vaches! »

     Une rumeur et des rires s’élevèrent dans l’auditoire.

     — Vous pouvez vous retirer, dit le président avec précipitation.

     Et il avertit le public que si ces manifestations indécentes se reproduisaient, il ferait évacuer la salle. Cependant la défense agitait triomphalement les manches de sa robe, et l’on pensait en ce moment que Crainquebille serait acquitté.

     Le calme s’étant rétabli, maître Lemerle se leva. Il commença sa plaidoirie par l’éloge des agents de la Préfecture, «ces modestes serviteurs de la société, qui, moyennant un salaire dérisoire, endurent des fatigues et affrontent des périls incessants, et qui pratiquent l’héroïsme quotidien. Ce sont d’anciens soldats, et qui restent soldats. Soldats, ce mot dit tout…»

     Et maître Lemerle s’éleva, sans effort, à des considérations très hautes sur les vertus militaires. Il était de ceux, dit-il, «qui ne permettent pas qu’on touche à l’armée, à cette armée nationale à laquelle il était fier d’appartenir».

     Le président inclina la tête.

     Maître Lemerle, en effet, était lieutenant dans la réserve. Il était aussi candidat nationaliste dans le quartier des Vieilles-Haudriettes.

     Il poursuivit:

     — Non certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population de Paris. Et je n’aurais pas consenti à vous présenter, messieurs, la défense de Crainquebille si j’avais vu en lui l’insulteur d’un ancien soldat. On accuse mon client d’avoir dit: « Mort aux vaches! » Le sens de cette phrase n’est pas douteux. Si vous feuilletez le Dictionnaire de la langue verte, vous y lirez: « Vachard, paresseux, fainéant; qui s’étend paresseusement comme une vache, au lieu de travailler. — Vache, qui se vend à la police; mouchard. » Mort aux vaches! se dit dans un certain monde. Mais toute la question est celle-ci: Comment Crainquebille l’a-t-il dit? Et même, l’a-t-il dit? Permettez-moi, messieurs, d’en douter.

     «Je ne soupçonne l’agent Matra d’aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous l’avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené. Dans ces conditions il peut avoir été la victime d’une sorte d’hallucination de l’ouïe. Et quand il vient vous dire, messieurs, que le docteur David Matthieu, officier de la Légion d’honneur, médecin en chef de l’hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a crié: « Mort aux vaches! » nous sommes bien forcés de reconnaître que Matra est en proie à la maladie de l’obsession, et, si le terme n’est pas trop fort, au délire de la persécution.

     «Et alors même que Crainquebille aurait crié: «Mort aux vaches!» il resterait à savoir si ce mot a, dans sa bouche, le caractère d’un délit. Crainquebille est l’enfant naturel d’une marchande ambulante, perdue d’inconduite et de boisson, il est né alcoolique. Vous le voyez ici abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous direz qu’il est irresponsable.»

     Maître Lemerle s’assit et M. le président Bourriche lut entre ses dents un jugement qui condamnait Jérôme Crainquebille à quinze jours de prison et cinquante francs d’amende. Le Tribunal avait fondé sa conviction sur le témoignage de l’agent Matra.

     Mené par les longs couloirs sombres du Palais, Crainquebille ressentit un immense besoin de sympathie. Il se tourna vers le garde de Paris qui le conduisait et l’appela trois fois:

     — Cipal!… Cipal!… Hein? Cipal!…

     Et il soupira:

     — Il y a seulement quinze jours, si on m’avait dit qu’il m’arriverait ce qu’il m’arrive!…

     Puis il fit cette réflexion:

      — Ils parlent trop vite, ces messieurs. Ils parlent bien, mais ils parlent trop vite. On peut pas s’expliquer avec eux… Cipal, vous trouvez pas qu’ils parlent trop vite?

     Mais le soldat marchait sans répondre ni tourner la tête.

     Crainquebille lui demanda:

     — Pourquoi que vous me répondez pas?

     Et le soldat garda le silence. Et Crainquebille lui dit avec amertume:

     — On parle bien à un chien. Pourquoi que vous me parlez pas? Vous ouvrez jamais la bouche: vous avez donc pas peur qu’elle pue?

 

IV. APOLOGIE POUR M. LE PRÉSIDENT BOURRICHE

     Quelques curieux et deux ou trois avocats quittèrent l’audience après la lecture de l’arrêt, quand déjà le greffier appelait une autre cause. Ceux qui sortaient ne faisaient point de réflexion sur l’affaire Crainquebille qui ne les avait guère intéressés, et à laquelle ils ne songeaient plus. Seul M. Jean Lermite, graveur à l’eau-forte, qui était venu d’aventure au Palais, méditait sur ce qu’il venait de voir et d’entendre.

     Passant son bras sur l’épaule de maître Joseph Aubarrée:

     — Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c’est d’avoir su se défendre des vaines curiosités de l’esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l’une à l’autre les dépositions contradictoires de l’agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l’on ne rencontre que le doute et l’incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l’imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l’infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l’autorité? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin. Il suffit de rappeler l’aventure de Walter Raleigh.

     «Un jour que Walter Raleigh, enfermé à la Tour de Londres, travaillait, selon sa coutume, à la seconde partie de son Histoire du Monde, une rixe éclata sous sa fenêtre. Il alla regarder ces gens qui se querellaient, et quand il se remit au travail, il pensait les avoir très bien observés. Mais le lendemain, ayant parlé de cette affaire à un de ses amis qui y avait été présent et qui même y avait pris part, il fut contredit par cet ami sur tous les points. Réfléchissant alors à la difficulté de connaître la vérité sur des événements lointains, quand il avait pu se méprendre sur ce qui se passait sous ses yeux, il jeta au feu le manuscrit de son histoire.

     «Si les juges avaient les mêmes scrupules que sir Walter Raleigh, ils jetteraient au feu toutes leurs instructions. Et ils n’en ont pas le droit. Ce serait de leur part un déni de justice, un crime. Il faut renoncer à savoir, mais il ne faut pas renoncer à juger. Ceux qui veulent que les arrêts des tribunaux soient fondés sur la recherche méthodique des faits sont de dangereux sophistes et des ennemis perfides de la justice civile et de la justice militaire. Le président Bourriche a l’esprit trop juridique pour faire dépendre ses sentences de la raison et de la science dont les conclusions sont sujettes à d’éternelles disputes. Il les fonde sur des dogmes et les assied sur la tradition, en sorte que ses jugements égalent en autorité les commandements de l’Église. Ses sentences sont canoniques. J’entends qu’il les tire d’un certain nombre de sacrés canons. Voyez, par exemple, qu’il classe les témoignages non d’après les caractères incertains et trompeurs de la vraisemblance et de l’humaine vérité, mais d’après des caractères intrinsèques, permanents et manifestes. Il les pèse au poids des armes. Y a-t-il rien de plus simple et de plus sage à la fois? Il tient pour irréfutable le témoignage d’un gardien de la paix, abstraction faite de son humanité et conçu métaphysiquement en tant qu’un numéro matricule et selon les catégories de la police idéale. Non pas que Matra (Bastien), né à Cinto-Monte (Corse), lui paraisse incapable d’erreur. Il n’a jamais pensé que Bastien Matra fût doué d’un grand esprit d’observation, ni qu’il appliquât à l’examen des faits une méthode exacte et rigoureuse. À vrai dire, il ne considère pas Bastien Matra, mais l’agent 64. — Un homme est faillible, pense-t-il. Pierre et Paul peuvent se tromper. Descartes et Gassendi, Leibnitz et Newton, Bichat et Claude Bernard ont pu se tromper. Nous nous trompons tous et à tout moment. Nos raisons d’erreur sont innombrables. Les perceptions des sens et les jugements de l’esprit sont des sources d’illusion et des causes d’incertitude. Il ne faut pas se fier au témoignage d’un homme: Testis unus, testis nullus. Mais on peut avoir foi dans un numéro. Bastien Matra, de Cinto-Monte, est faillible. Mais l’agent 64, abstraction faite de son humanité, ne se trompe pas. C’est une entité. Une entité n’a rien en elle de ce qui est dans les hommes et les trouble, les corrompt, les abuse. Elle est pure, inaltérable et sans mélange. Aussi le Tribunal n’a-t-il point hésité à repousser le témoignage du docteur David Matthieu, qui n’est qu’un homme, pour admettre celui de l’agent 64, qui est une idée pure, et comme un rayon de Dieu descendu à la barre.

     «En procédant de cette manière, le président Bourriche s’assure une sorte d’infaillibilité, et la seule à laquelle un juge puisse prétendre. Quand l’homme qui témoigne est armé d’un sabre, c’est le sabre qu’il faut entendre et non l’homme. L’homme est méprisable et peut avoir tort. Le sabre ne l’est point et il a toujours raison. Le président Bourriche a profondément pénétré l’esprit des lois. La société repose sur la force, et la force doit être respectée comme le fondement auguste des sociétés. La justice est l’administration de la force. Le président Bourriche sait que l’agent 64 est une parcelle du Prince. Le Prince réside dans chacun de ses officiers. Ruiner l’autorité de l’agent 64, c’est affaiblir l’État. Manger une des feuilles de l’artichaut, c’est manger l’artichaut, comme dit Bossuet en son sublime langage. (Politique tirée de l’Écriture sainte, passim.)

     «Toutes les épées d’un État sont tournées dans le même sens. En les opposant les unes aux autres, on subvertit la république. C’est pourquoi l’inculpé Crainquebille fut condamné justement à quinze jours de prison et cinquante francs d’amende, sur le témoignage de l’agent 64. Je crois entendre le président Bourriche expliquer lui-même les raisons hautes et belles qui inspirèrent sa sentence. Je crois l’entendre dire:

     — J’ai jugé cet individu en conformité avec l’agent 64, parce que l’agent 64 est l’émanation de la force publique. Et pour reconnaître ma sagesse, il vous suffit d’imaginer que j’ai agi inversement. Vous verrez tout de suite que c’eût été absurde. Car si je jugeais contre la force, mes jugements ne seraient pas exécutés. Remarquez, messieurs, que les juges ne sont obéis que tant qu’ils ont la force avec eux. Sans les gendarmes, le juge ne serait qu’un pauvre rêveur. Je me nuirais si je donnais tort à un gendarme. D’ailleurs le génie des lois s’y oppose. Désarmer les forts et armer les faibles ce serait changer l’ordre social que j’ai mission de conserver. La justice est la sanction des injustices établies. La vit-on jamais opposée aux conquérants et contraire aux usurpateurs? Quand s’élève un pouvoir illégitime, elle n’a qu’à le reconnaître pour le rendre légitime. Tout est dans la forme, et il n’y a entre le crime et l’innocence que l’épaisseur d’une feuille de papier timbré. — C’était à vous, Crainquebille, d’être le plus fort. Si après avoir crié: «Mort aux vaches!» vous vous étiez fait déclarer empereur, dictateur, président de la République ou seulement conseiller municipal, je vous assure que je ne vous aurais pas condamné à quinze jours de prison et cinquante francs d’amende. Je vous aurais tenu quitte de toute peine. Vous pouvez m’en croire.

     «Ainsi sans doute eût parlé le président Bourriche, car il a l’esprit juridique et il sait ce qu’un magistrat doit à la société. Il en défend les principes avec ordre et régularité. La justice est sociale. Il n’y a que de mauvais esprits pour la vouloir humaine et sensible. On l’administre avec des règles fixes et non avec les frissons de la chair et les clartés de l’intelligence. Surtout ne lui demandez pas d’être juste, elle n’a pas besoin de l’être puisqu’elle est justice, et je vous dirai même que l’idée d’une justice juste n’a pu germer que dans la tête d’un anarchiste. Le président Magnaud rend, il est vrai, des sentences équitables. Mais on les lui casse, et c’est justice.

     «Le vrai juge pèse les témoignages au poids des armes. Cela s’est vu dans l’affaire Crainquebille, et dans d’autres causes plus célèbres.

     Ainsi parla M. Jean Lermite, en parcourant d’un bout à l’autre bout la salle des Pas-Perdus.

     Maître Joseph Aubarrée, qui connaissait le Palais, lui répondit en se grattant le bout du nez:

     — Si vous voulez avoir mon avis, je ne crois pas que monsieur le président Bourriche se soit élevé jusqu’à une si haute métaphysique. À mon sens, en admettant le témoignage de l’agent 64 comme l’expression de la vérité, il fit simplement ce qu’il avait toujours vu faire. C’est dans l’imitation qu’il faut chercher la raison de la plupart des actions humaines. En se conformant à la coutume on passera toujours pour un honnête homme. On appelle gens de bien ceux qui font comme les autres.

 

V. DE LA SOUMISSION DE CRAINQUEBILLE AUX LOIS DE LA RÉPUBLIQUE

     Crainquebille, reconduit en prison, s’assit sur son escabeau enchaîné, plein d’étonnement et d’admiration. Il ne savait pas bien lui-même que les juges s’étaient trompés. Le Tribunal lui avait caché ses faiblesses intimes sous la majesté des formes. Il ne pouvait croire qu’il eût raison contre des magistrats dont il n’avait pas compris les raisons: il lui était impossible de concevoir que quelque chose clochât dans une si belle cérémonie. Car, n’allant ni à la messe, ni à l’Élysée, il n’avait, de sa vie, rien vu de si beau qu’un jugement en police correctionnelle. Il savait bien qu’il n’avait pas crié « Mort aux vaches! » Et, qu’il eût été condamné à quinze jours de prison pour l’avoir crié, c’était, en sa pensée, un auguste mystère, un de ces articles de foi auxquels les croyants adhèrent sans les comprendre, une révélation obscure, éclatante, adorable et terrible.

     Ce pauvre vieil homme se reconnaissait coupable d’avoir mystiquement offensé l’agent 64, comme le petit garçon qui va au catéchisme se reconnaît coupable du péché d’Ève. Il lui était enseigné, par son arrêt, qu’il avait crié: « Mort aux vaches! » C’était donc qu’il avait crié: « Mort aux vaches! » d’une façon mystérieuse, inconnue de lui-même. Il était transporté dans un monde surnaturel. Son jugement était son apocalypse.

     S’il ne se faisait pas une idée nette du délit, il ne se faisait pas une idée plus nette de la peine. Sa condamnation lui avait paru une chose solennelle, rituelle et supérieure, une chose éblouissante qui ne se comprend pas, qui ne se discute pas, et dont on n’a ni à se louer, ni à se plaindre. À cette heure il aurait vu le président Bourriche, une auréole au front, descendre, avec des ailes blanches, par le plafond entr’ouvert, qu’il n’aurait pas été surpris de cette nouvelle manifestation de la gloire judiciaire. Il se serait dit: « Voilà mon affaire qui continue! »

     Le lendemain, son avocat vint le voir:

     — Eh bien, mon bonhomme, vous n’êtes pas trop mal? Du courage! deux semaines sont vite passées. Nous n’avons pas trop à nous plaindre.

     — Pour ça, on peut dire que ces messieurs ont été bien doux, bien polis; pas un gros mot. J’aurais pas cru. Et le cipal avait mis des gants blancs. Vous avez pas vu?

     — Tout pesé, nous avons bien fait d’avouer.

     — Possible.

     — Crainquebille, j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. Une personne charitable, que j’ai intéressée à votre position, m’a remis pour vous une somme de cinquante francs qui sera affectée au paiement de l’amende à laquelle vous avez été condamné.

     — Alors quand que vous me donnerez les cinquante francs?

     — Ils seront versés au greffe. Ne vous en inquiétez pas.

      — C’est égal. Je remercie tout de même la personne.

      Et Crainquebille méditatif murmura:

      — C’est pas ordinaire ce qui m’arrive.

      — N’exagérez rien, Crainquebille. Votre cas n’est pas rare, loin de là.

      – Vous pourriez pas me dire où qu’ils m’ont étouffé ma voiture?

VI. CRAINQUEBILLE DEVANT L’OPINION

      Crainquebille, sorti de prison, poussait sa voiture rue Montmartre en criant: Des choux, des navets, des carottes! Il n’avait ni orgueil, ni honte de son aventure. Il n’en gardait pas un souvenir pénible. Cela tenait, dans son esprit, du théâtre, du voyage et du rêve. Il était surtout content de marcher dans la boue, sur le pavé de la ville, et de voir sur sa tête le ciel tout en eau et sale comme le ruisseau, le bon ciel de sa ville. Il s’arrêtait à tous les coins de rue pour boire un verre; puis, libre et joyeux, ayant craché dans ses mains pour en lubrifier la paume calleuse, il empoignait les brancards et poussait la charrette, tandis que, devant lui, les moineaux, comme lui matineux et pauvres, qui cherchaient leur vie sur la chaussée, s’envolaient en gerbe avec son cri familier: Des choux, des navets, des carottes! Une vieille ménagère, qui s’était approchée, lui disait en tâtant des céleris:

     — Qu’est-ce qui vous est donc arrivé, père Crainquebille? Il y a bien trois semaines qu’on ne vous a pas vu. Vous avez été malade? Vous êtes un peu pâle.

     — Je vas vous dire, m’ame Mailloche, j’ai fait le rentier.

     Rien n’est changé dans sa vie, à cela près qu’il va chez le troquet plus souvent que d’habitude, parce qu’il a l’idée que c’est fête, et qu’il a fait connaissance avec des personnes charitables. Il rentre un peu gai, dans sa soupente. Étendu dans le plumard, il ramène sur lui les sacs que lui a prêtés le marchand de marrons du coin et qui lui servent de couverture, et il songe: « La prison, il n’y a pas à se plaindre; on y a tout ce qui vous faut. Mais on est tout de même mieux chez soi. »

     Son contentement fut de courte durée. Il s’aperçut vite que les clientes lui faisaient grise mine.

     — Des beaux céleris, m’ame Cointreau!

     — Il ne me faut rien.

     — Comment, qu’il ne vous faut rien? Vous vivez pourtant pas de l’air du temps.

     Et m’ame Cointreau, sans lui faire de réponse, rentrait fièrement dans la grande boulangerie dont elle était la patronne. Les boutiquières et les concierges, naguère assidues autour de sa voiture verdoyante et fleurie, maintenant se détournaient de lui. Parvenu à la cordonnerie de l’Ange Gardien, qui est le point où commencèrent ses aventures judiciaires, il appela:

     — M’ame Bayard, m’ame Bayard, vous me devez quinze sous de l’autre fois.

     Mais m’ame Bayard, qui siégeait à son comptoir, ne daigna pas tourner la tête.

     Toute la rue Montmartre savait que le père Crainquebille sortait de prison, et toute la rue Montmartre ne le connaissait plus. Le bruit de sa condamnation était parvenu jusqu’au faubourg et à l’angle tumultueux de la rue Richer. Là, vers midi, il aperçut madame Laure, sa bonne et fidèle cliente, penchée sur la voiture du petit Martin. Elle tâtait un gros chou. Ses cheveux brillaient au soleil comme d’abondants fils d’or largement tordus. Et le petit Martin, un pas grand’chose, un sale coco, lui jurait la main sur son cœur, qu’il n’y avait pas plus belle marchandise que la sienne. À ce spectacle le cœur de Crainquebille se déchira. Il poussa sa voiture sur celle du petit Martin et dit à madame Laure, d’une voix plaintive et brisée:

     — C’est pas bien de me faire des infidélités.

     Madame Laure, comme elle le reconnaissait elle-même, n’était pas duchesse. Ce n’est pas dans le monde qu’elle s’était fait une idée du panier à salade et du Dépôt. Mais on peut être honnête dans tous les états, pas vrai? Chacun a son amour-propre, et l’on n’aime pas avoir affaire à un individu qui sort de prison. Aussi ne répondit-elle à Crainquebille qu’en simulant un haut-le-cœur. Et le vieux marchand ambulant, ressentant l’affront, hurla:

     — Dessalée! va!

     Madame Laure en laissa tomber son chou vert et s’écria:

     — Eh! va donc, vieux cheval de retour! Ça sort de prison, et ça insulte les personnes!

     Crainquebille, s’il avait été de sang-froid, n’aurait jamais reproché à madame Laure sa condition. Il savait trop qu’on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie, qu’on ne choisit pas son métier, et qu’il y a du bon monde partout. Il avait coutume d’ignorer sagement ce que faisaient chez elles les clientes, et il ne méprisait personne. Mais il était hors de lui. Il donna par trois fois à madame Laure les noms de dessalée, de charogne et de roulure. Un cercle de curieux se forma autour de madame Laure et de Crainquebille, qui échangèrent encore plusieurs injures aussi solennelles que les premières, et qui eussent égrené tout du long leur chapelet, si un agent soudainement apparu ne les avait, par son silence et son immobilité, rendus tout à coup aussi muets et immobiles que lui. Ils se séparèrent. Mais cette scène acheva de perdre Crainquebille dans l’esprit du faubourg Montmartre et de la rue Richer.

VII. LES CONSÉQUENCES

     Et le vieil homme allait marmonnant:

     — Pour sûr que c’est une morue. Et même y a pas plus morue que cette femme-là.

     Mais dans le fond de son cœur, ce n’est pas de cela qu’il lui faisait un reproche. Il ne la méprisait pas d’être ce qu’elle était. Il l’en estimait plutôt, la sachant économe et rangée. Autrefois ils causaient tous deux volontiers ensemble. Elle lui parlait de ses parents qui habitaient la campagne. Et ils formaient tous deux le même vœu de cultiver un petit jardin et d’élever des poules. C’était une bonne cliente. De la voir acheter des choux au petit Martin, un sale coco, un pas grand’chose, il en avait reçu un coup dans l’estomac; et quand il l’avait vue faisant mine de le mépriser, la moutarde lui avait monté au nez, et dame!

     Le pis, c’est qu’elle n’était pas la seule qui le traitât comme un galeux. Personne ne voulait plus le connaître. Tout comme madame Laure, madame Cointreau la boulangère, madame Bayard de l’Ange-Gardien le méprisaient et le repoussaient. Toute la société, quoi.

     Alors! parce qu’on avait été mis pour quinze jours à l’ombre, on n’était plus bon seulement à vendre des poireaux! Est-ce que c’était juste? Est-ce qu’il y avait du bon sens à faire mourir de faim un brave homme parce qu’il avait eu des difficultés avec les flics? S’il ne pouvait plus vendre ses légumes, il n’avait plus qu’à crever.

     Comme le vin mal traité, il tournait à l’aigre. Après avoir eu «des mots» avec madame Laure, il en avait maintenant avec tout le monde. Pour un rien, il disait leur fait aux chalandes, et sans mettre de gants, je vous prie de le croire. Si elles tâtaient un peu longtemps la marchandise, il les appelait proprement râleuses et purées; pareillement chez le troquet, il engueulait les camarades. Son ami, le marchand de marrons, qui ne le reconnaissait plus, déclarait que ce sacré père Crainquebille était un vrai porc-épic. On ne peut le nier: il devenait incongru, mauvais coucheur, mal embouché, fort en gueule. C’est que, trouvant la société imparfaite, il avait moins de facilité qu’un professeur de l’École des sciences morales et politiques à exprimer ses idées sur les vices du système et sur les réformes nécessaires, et que ses pensées ne se déroulaient pas dans sa tête avec ordre et mesure.

     Le malheur le rendait injuste. Il se revanchait sur ceux qui ne lui voulaient pas de mal et quelquefois sur de plus faibles que lui. Une fois, il donna une gifle à Alphonse, le petit du marchand de vin, qui lui avait demandé si l’on était bien à l’ombre. Il le gifla et lui dit:

     — Sale gosse! c’est ton père qui devrait être à l’ombre au lieu de s’enrichir à vendre du poison.

     Acte et parole qui ne lui faisaient pas honneur, car, ainsi que le marchand de marrons le lui remontra justement, on ne doit pas battre un enfant, ni lui reprocher son père, qu’il n’a pas choisi.

     Il s’était mis à boire. Moins il gagnait d’argent, plus il buvait d’eau-de-vie. Autrefois économe et sobre, il s’émerveillait lui-même de ce changement.

     — J’ai jamais été fricoteur, disait-il. Faut croire qu’on devient moins raisonnable en vieillissant.

     Parfois il jugeait sévèrement son inconduite et sa paresse:

     — Mon vieux Crainquebille, t’es plus bon que pour lever le coude.

     Parfois il se trompait lui-même et se persuadait qu’il buvait par besoin:

     — Faut comme ça de temps en temps, que je boive un verre pour me donner des forces et pour me rafraîchir. Sûr que j’ai quelque chose de brûlé dans l’intérieur. Et il y a encore que la boisson comme rafraîchissement.

     Souvent il lui arrivait de manquer la criée matinale et il ne se fournissait plus que de marchandise avariée qu’on lui livrait à crédit. Un jour se sentant les jambes molles et le cœur las, il laissa sa voiture dans la remise et passa toute la sainte journée à tourner autour de l’étal de madame Rose, la tripière, et devant tous les troquets des Halles. Le soir, assis sur un panier, il songea, et il eut conscience de sa déchéance. Il se rappela sa force première et ses antiques travaux, ses longues fatigues et ses gains heureux, ses jours innombrables, égaux et pleins; les cent pas, la nuit, sur le carreau des Halles, en attendant la criée; les légumes enlevés par brassées et rangés avec art dans la voiture, le petit noir de la mère Théodore avalé tout chaud d’un coup, au pied levé, les brancards empoignés solidement; son cri, vigoureux comme le chant du coq, déchirant l’air matinal, sa course par les rues populeuses, toute sa vie innocente et rude de cheval humain, qui, durant un demi-siècle, porta, sur son étal roulant, aux citadins brûlés de veilles et de soucis, la fraîche moisson des jardins potagers. Et secouant la tête il soupira:

     — Non! j’ai plus le courage que j’avais. Je suis fini. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Et puis, depuis mon affaire en justice, je n’ai plus le même caractère. Je suis plus le même homme, quoi!

     Enfin il était démoralisé. Un homme dans cet état-là, autant dire que c’est un homme par terre et incapable de se relever. Tous les gens qui passent lui pilent dessus.

VIII. LES DERNIÈRES CONSÉQUENCES

      La misère vint, la misère noire. Le vieux marchand ambulant, qui rapportait autrefois du faubourg Montmartre les pièces de cent sous à plein sac, maintenant n’avait plus un rond. C’était l’hiver. Expulsé de sa soupente, il coucha sous des charrettes, dans une remise. Les pluies étant tombées pendant vingt-quatre jours, les égouts débordèrent et la remise fut inondée.

     Accroupi dans sa voiture, au-dessus des eaux empoisonnées, en compagnie des araignées, des rats et des chats faméliques, il songeait dans l’ombre. N’ayant rien mangé de la journée et n’ayant plus pour se couvrir les sacs du marchand de marrons, il se rappela les deux semaines durant lesquelles le gouvernement lui avait donné le vivre et le couvert. Il envia le sort des prisonniers, qui ne souffrent ni du froid ni de la faim, et il lui vint une idée:

     — Puisque je connais le truc, pourquoi que je m’en servirais pas?

     Il se leva et sortit dans la rue. Il n’était guère plus de onze heures. Il faisait un temps aigre et noir. Une bruine tombait, plus froide et plus pénétrante que la pluie. De rares passants se coulaient au ras des murs.

     Crainquebille longea l’église Saint-Eustache et tourna dans la rue Montmartre. Elle était déserte. Un gardien de la paix se tenait planté sur le trottoir, au chevet de l’église, sous un bec de gaz, et l’on voyait, autour de la flamme, tomber une petite pluie rousse. L’agent la recevait sur son capuchon, il avait l’air transi, mais soit qu’il préférât la lumière à l’ombre, soit qu’il fût las de marcher, il restait sous son candélabre, et peut-être s’en faisait-il un compagnon, un ami. Cette flamme tremblante était son seul entretien dans la nuit solitaire. Son immobilité ne paraissait pas tout à fait humaine; le reflet de ses bottes sur le trottoir mouillé, qui semblait un lac, le prolongeait inférieurement et lui donnait de loin l’aspect d’un monstre amphibie, à demi sorti des eaux. De plus près, encapuchonné et armé, il avait l’air monacal et militaire. Les gros traits de son visage, encore grossis par l’ombre du capuchon, étaient paisibles et tristes. Il avait une moustache épaisse, courte et grise. C’était un vieux sergot, un homme d’une quarantaine d’années.

     Crainquebille s’approcha doucement de lui et, d’une voix hésitante et faible, lui dit:

     — Mort aux vaches!

     Puis il attendit l’effet de cette parole consacrée. Mais elle ne fut suivie d’aucun effet. Le sergot resta immobile et muet, les bras croisés sous son manteau court. Ses yeux, grands ouverts et qui luisaient dans l’ombre, regardaient Crainquebille avec tristesse, vigilance et mépris.

     Crainquebille, étonné, mais gardant encore un reste de résolution, balbutia:

     — Mort aux vaches! que je vous ai dit.

     Il y eut un long silence durant lequel tombait la pluie fine et rousse et régnait l’ombre glaciale. Enfin le sergot parla:

     — Ce n’est pas à dire… Pour sûr et certain que ce n’est pas à dire. À votre âge on devrait avoir plus de connaissance… Passez votre chemin.

     — Pourquoi que vous m’arrêtez pas? demanda Crainquebille.

     Le sergot secoua la tête sous son capuchon humide:

     — S’il fallait empoigner tous les poivrots qui disent ce qui n’est pas à dire, y en aurait de l’ouvrage!… Et de quoi que ça servirait?

     Crainquebille, accablé par ce dédain magnanime, demeura longtemps stupide et muet, les pieds dans le ruisseau. Avant de partir, il essaya de s’expliquer:

     — C’était pas pour vous que j’ai dit: « Mort aux vaches! » C’était pas plus pour l’un que pour l’autre que je l’ai dit. C’était pour une idée.

     Le sergot répondit avec une austère douceur:

     — Que ce soye pour une idée ou pour autre chose, ce n’était pas à dire, parce que quand un homme fait son devoir et qu’il endure bien des souffrances, on ne doit pas l’insulter par des paroles futiles… Je vous réitère de passer votre chemin.

     Crainquebille, la tête basse, et les bras ballants, s’enfonça sous la pluie dans l’ombre.

Crainquebille, Putois, Riquet y otros muchos relatos provechosos

Versión 2011

Textos: Crainquebille, Putois, Riquet, Pensamientos de Riquet

 

 

CRAINQUEBILLE

I

     La majestad de la justicia reside completamente en cada sentencia dictada por el juez en nombre del pueblo soberano. Jérôme Crainquebille, vendedor ambulante, conoció lo augusta que es la ley cuando lo llevaron a la policía correccional por ultraje a un agente del orden público. Habiendo tomado asiento, en la sala magnífica y sombría, en el banco de los acusados, vio a los jueces, a los escribanos, a los abogados con sus togas, al ujier que traía la cadena, a los policías y, detrás de un antepecho, las cabezas desnudas de los espectadores silenciosos. Y se vio a sí mismo sentado en un asiento elevado, como si, al aparecer ante los magistrados, el acusado mismo recibiera un funesto honor. Al fondo de la sala, entre los dos consejeros, estaba sentado el Sr. presidente Bourriche. Las insignias de oficial de la academia estaban abrochadas en su pecho. Un busto de la República y un Cristo crucificado coronaban la sala de audiencia, de modo que todas las leyes divinas y humanas estaban suspendidas sobre la cabeza de Crainquebille. Por ello, sintió un justo terror. Al no tener ningún espíritu filosófico, no se preguntó lo que querían decir ese busto y ese crucifijo y no indagó si Jesús y Marianne, en el Palacio, estaban de acuerdo. Era, sin embargo, una materia para reflexionar, pues, en fin, la doctrina pontificia y el derecho canónico se oponen en bastantes puntos a la Constitución de la República y al código civil. Las decretales pontificias no han sido abolidas, que se sepa. La Iglesia de Cristo enseña como antes que solos son legítimos los poderes que ella ha investido. Ahora la República francesa pretende, sin embargo, no ser del dominio del pontificado.  Crainquebille podía decir con alguna razón:

     – Señores jueces, al no estar consagrado el presidente Loubet, este Cristo, que pende sobre vuestras cabezas, os rechaza por el órgano de los Concilios y de los papas. O él está aquí para recordaros el derecho de la iglesia, que anula el vuestro, o su presencia no tiene ningún significado razonable.

     A lo que el presidente Bourriche quizás habría respondido:

     – Inculpado Crainquebille, los reyes de Francia han estado siempre enfrentados con el papa. Guillaume de Nogaret fue excomulgado y no por tan poca cosa dimitió de su cargo. El Cristo de la sala de audiencia no es el Cristo de Gregorio VII o de Bonifacio VIII. Es, si así lo quiere, el Cristo del Evangelio, que no sabía ni una palabra del derecho canónico y nunca había oído hablar de las sagradas decretales.

     Entonces, tendría Crainquebille la posibilidad de responder:

     – El Cristo del Evangelio era un bousingot.[i] Además, sufrió una condena que, después de diecinueve siglos, todos los pueblos cristianos consideran como un grave error judicial. Le desafío, señor presidente, a condenarme, en su nombre, siquiera a cuarenta y ocho horas de prisión.

     Pero Crainquebille no se entregaba a ninguna consideración histórica, política o social. Él permanecía en su asombro. El aparato del que estaba rodeado le hacía concebir una alta idea de la justicia. Penetrado de respeto, sumergido en el espanto, estaba listo a rendirse a los jueces sobre su propia culpabilidad. En su conciencia, no se creía criminal; pero sentía lo poco que es la conciencia de un vendedor de verduras ante los símbolos de la ley y los ministros de la vindicta pública. Ya su abogado casi lo había persuadido de que no era inocente.

     Una instrucción sumaria y rápida había realzado los cargos que pesaban sobre él.

II. LA AVENTURA DE CRAINQUEBILLE

     Jérôme Crainquebille, vendedor de verduras, iba por la ciudad empujando su pequeño carro y gritando: ¡Coles, nabos, zanahorias! Y cuando tenía puerros, gritaba: ¡Manojos de espárragos!, porque los puerros son los espárragos del pobre. Ese día, 20 de octubre, a mediodía, cuando bajaba por la calle de Montmartre, madame Bayard, la zapatera, salió de su tienda y se acercó al carro de las verduras. Levantando desdeñosamente un manojo de puerros:

     – No son nada hermosos sus puerros. ¿A cuánto el manojo?

     – A setenta y cinco céntimos, señora. No los hay mejores.

     – ¿Setenta y cinco céntimos tres tristes puerros?

     Y arrojó el manojo en el carro, con un gesto de disgusto.

     Fue entonces cuando el agente 64 sobrevino y le dijo a Crainquebille:

     – ¡Circule!

     Crainquebille, desde hacía cincuenta años, circulaba de la mañana a la noche. Tal orden le pareció legítima y conforme a la naturaleza de las cosas. Todo dispuesto a obedecer, le dio prisas a la señora para que cogiera lo que le convenía.

     – Es necesario que elija la mercancía, respondió con aspereza la zapatera.

     Y ella tanteó de nuevo los manojos de puerros, luego se guardó el que le pareció mejor y se lo acercó al pecho como las santas en los cuadros de la iglesia, apretando contra su pecho la palma triunfal.

     – Le daré setenta céntimos. Es bastante. Y aún es necesario que vaya a buscarlos a la tienda, porque no los llevo encima.

     Y con los puerros abrazados, regresó a la zapatería, donde una clienta, que llevaba a un niño, la había precedido.

     En ese momento el agente 64 le dijo por segunda vez a Crainquebille:

     – ¡Circule!

     – Estoy esperando mi dinero, respondió Crainquebille

     – No le digo que espere su dinero; le he dicho que circule, respondió el agente con firmeza.

     No obstante, la zapatera, en la tienda, le probaba unos zapatos azules a un niño de dieciocho meses cuya madre tenía prisas. Y las cabezas verdes de los puerros reposaban en el mostrador.

     Después de medio siglo empujando su carro por las calles, Crainquebille había aprendido a obedecer a los representantes de la autoridad. Pero esta vez se encontraba en una situación particular, entre un deber y un derecho. Él no tenía espíritu jurídico, no comprendía que el disfrute de un derecho individual no lo dispensaba de cumplir un deber social. Consideró demasiado su derecho, que era recibir setenta céntimos, y no se ocupó bastante de su deber, que era empujar su carro e ir hacia adelante y siempre hacia adelante. Él permaneció.

     Por tercera vez, al agente 64, tranquilo y sin cólera, le dio la orden de circular. Contrariamente a la costumbre del brigadier Montaucil, que amenaza sin cesar y no castiga nunca, el agente 64 es sobrio en advertencias y rápido en multar. Ese es su carácter. Aunque un poco socarrón, es un excelente servidor y un leal soldado. La valentía de un león y la dulzura de un niño. Solo conoce su consigna.

     – ¿Usted no entiende, pues, cuando le digo que circule?

     Crainquebille tenía, para permanecer en su lugar, una razón tan considerable a sus ojos, que la creía suficiente. Expuso simplemente y sin arte:

     – ¡Pardiez! ¿Pues no le he dicho que espero mi dinero?

     El agente 64 se contentó con responder:

     – ¿Quiere que yo le clave[ii]… una denuncia? Si lo quiere, no tiene más que decírmelo.

     Al oír estas palabras, Crainquebille levantó los hombros, y le lanzó al agente una mirada dolorosa que él elevó enseguida hacia el cielo. Y esta mirada decía:

     “¡Que Dios me juzgue! ¿Denigro yo las leyes? ¿Acaso me río yo de los decretos y de las órdenes que rigen mi estado ambulante? A las cinco de la mañana estaba en el mercado exterior de las Halles. Desde las siete, me quemo las manos en mis varas gritando; ¡Coles, nabos, zanahorias! Tengo sesenta años bien cumplidos. Estoy cansado, y usted me pregunta si yo llevo la bandera negra de la revuelta. Usted se burla y su broma es cruel.”

     Ya fuera que la expresión de esa mirada se le hubiera escapado, ya fuera que él no encontrara una excusa para desobedecer, el agente le preguntó con una voz cortante y ruda si lo había comprendido.

     Ahora, en ese preciso momento, el embotellamiento de los coches era extremo en la calle Montmartre. Los coches de caballos, las carretas, los carromatos, los autobuses, los camiones, apretados los unos contra los otros, parecían indisolublemente juntos y ensamblados. Y en su inmovilidad temblorosa se levantaban juramentos y gritos. Los cocheros de los coches de caballo intercambiaban, desde lejos, con los muchachos de las carnicerías injurias heroicas, y los conductores de los autobuses, considerando a Crainquebille como la causa del embotellamiento, lo llamaban “sucio puerro”.

     Sin embargo, en la acera, unos curiosos se apresuraban, atentos a la querella. Y el agente, viéndose observado, no pensó en otra cosa que en lucir su autoridad.

     – Está bien, dijo.

     Y sacó de su bolsillo un bloc grasiento y un lápiz muy corto.

     Crainquebille seguía su idea y obedecía a una fuerza interior. Por lo demás, le era imposible ahora avanzar o retroceder. La rueda de su carro estaba desgraciadamente enganchada en la rueda del carro de un lechero.

     Arrancándose los cabellos bajo la gorra, exclamó:

     – Pero ¿no le estoy diciendo que espero mi dinero? ¿Es un delito? ¡Miseria! ¡Maldita sea!

     Por estas frases que, sin embargo, expresaban menos la rebelión que la desesperación, el agente 64 se consideró insultado. Y como, para él, todo insulto revestía necesariamente la forma tradicional, regular, consagrada, ritual y por así decirlo litúrgica de “Mort aux vaches!”,[iii] es bajo esta forma como espontáneamente recogió y concretó en sus oídos las palabras del delincuente.

     – ¡Ah!, ha dicho “Mort aux vaches!” Está bien. Sígame.

     Crainquebille, en el exceso del estupor y del desamparo, miraba con sus grandes ojos abrasados por el sol al agente 64, y con la voz rota, que le salía ya por encima de la cabeza, ya de debajo de los talones, exclamó, con los brazos cruzados sobre su camisa azul:

     – ¿Yo he dicho “Mort aux vaches!”? ¿Yo?… ¡Oh!

     Esta detención fue acogida por las risas de los empleados de los comercios y de los muchachos. Ella contenía el gusto que todas las muchedumbres sienten por los espectáculos indignos y violentos. Pero, tras abrirse paso a través del corro popular, un anciano muy triste, vestido de negro y con un sombrero de copa, se acercó al agente y le dijo muy despacio y firme, en voz baja:

     – Se ha equivocado. Este hombre no lo ha insultado.

     – Ocúpese de sus asuntos, le respondió el agente, sin proferir amenazas, pues le hablaba a un hombre vestido de modo adecuado.

     El anciano insistió con mucha calma y tenacidad. Y el agente le notificó la orden de que se explicara en comisaría.

     Sin embargo, Crainquebille exclamó:

     – Entonces ¿yo he dicho “Mort aux vaches!”? ¡Oh!…

     Pronunciaba estas palabras de asombro cuando la señora Bayard, la zapatera, se llegó a él con los setenta céntimos en la mano. Pero ya el agente 64 lo agarraba, y la señora Bayard, pensando que no le debía nada a un hombre al que llevan a comisaría, se metió los céntimos en el bolsillo del delantal.

     Y viendo de golpe su carro secuestrado, su libertad perdida, el abismo bajo sus pasos y el sol apagado, Crainquebille murmuró:

     – ¡Da igual!…

     Ante el comisario, el anciano declaró que, detenido en su camino por un embotellamiento de coches, había sido testigo de la escena y que afirmaba que el agente no había sido insultado, y que se había equivocado totalmente. Dio su nombre y sus señas: doctor David Matthieu, médico jefe del hospital Ambroise-Paré, oficial de la Legión de honor. En otros tiempos, un testigo tal habría esclarecido con suficiencia al comisario. Pero entonces, en Francia, los sabios eran sospechosos.

     Crainquebille, cuyo arresto fue mantenido, pasó la noche en la celda de seguridad y, por la mañana, lo trasladaron en el furgón al calabozo.

     La prisión no le pareció ni dolorosa ni humillante. Le pareció necesaria. Lo que le impresionó al entrar fue la limpieza de las paredes y del enlosado. Dijo:

     – Como limpio, este lugar está limpio. ¡Verdaderamente! Se podría comer en el suelo.

     Una vez solo, quiso retirar su taburete, pero se dio cuenta de que estaba sellado a la pared. Expresó en voz alta su sorpresa:

     – ¡Qué extraña idea! He aquí una cosa que yo no habría inventado, seguro.

     Tras sentarse, giró sus pulgares y permaneció en su asombro. El silencio y la soledad lo agobiaban. Se aburría y pensaba con inquietud en su carro secuestrado, aún todo cargado de coles, zanahorias, apios, milamores y diente de león. Y se preguntaba angustiado:

     – ¿Dónde habrán dejado mi carro?

     Al tercer día recibió la visita de su abogado, el señor Lemerle, uno de los miembros más jóvenes del foro de París, presidente de una de las secciones de la Liga de la Patria francesa.

     Crainquebille intentó contarle su caso, lo que no le resultaba fácil, pues no tenía la costumbre de hablar. Quizás lo habría conseguido con un poco de ayuda. Pero su abogado sacudía la cabeza con aire desconfiado ante todo lo que él decía, y hojeando sus papeles, murmuraba:

     – ¡Hum! ¡Hum! No veo nada claro en este dossier…

     Luego, con un poco de cansancio, dijo rizándose su bigote rubio:

     – Por su interés, quizás sería mejor confesar. Por mi parte, estimo que su sistema de negaciones absolutas es de una insigne torpeza.

     Y desde entonces Crainquebille habría confesado si hubiera sabido lo que tenía que confesar.

III. CRAINQUEBILLE ANTE LA JUSTICIA

     El presidente Bourriche consagró seis minutos completos al interrogatorio de Crainquebille. Este interrogatorio habría dado más luz si el acusado hubiera respondido a las preguntas que se le habían planteado. Pero Crainquebille no tenía la costumbre de la discusión, y en tal compañía, el respeto y el espanto le cerraban la boca. Así, guardaba silencio, y el presidente pronunciaba él mismo las respuestas; estas eran abrumadoras. Concluyó:

     – En fin, reconoce que ha dicho “Mort aux vaches!

     – Yo he dicho “Mort aux vaches!” porque el señor agente ha dicho “Mort aux vaches!”. Entonces, yo he dicho “Mort aux vaches!”.

     Él quería dar a entender que, asombrado por la más imprevista imputación, había repetido, en su estupor, las palabras extrañas que se le atribuían falsamente y que él no había pronunciado. Había dicho “Mort aux vaches!” como si hubiera dicho “¡Yo!, ¿decir frases injuriosas?, ¿ha podido creerlo?

     El Sr. presidente Bourriche no se lo tomó así:

     – ¿Pretende, dijo, que el agente ha proferido antes ese grito?

     Crainquebille renunció a explicarse. Era demasiado difícil.

     – No insiste. Es lo más razonable, dijo el presidente.

     Llamó a los testigos.

     El agente 64, de nombre Bastien Matra, juró que diría la verdad y nada más que la verdad. Luego declaró en estos términos:

     – Estando de servicio el 20 de octubre, a mediodía, observé en la calle Montmartre, a un individuo que me pareció un vendedor ambulante y que tenía su carro indebidamente estacionado a la altura del número 328, lo que ocasionaba una aglomeración de coches. Le notifiqué tres veces la orden de circular, que él se negó a acatar. Y al advertirle que iba a redactar la denuncia, él me respondió gritando “Mort aux vaches!”, lo que me pareció injurioso.

     Esta declaración, firme y mesurada, fue escuchada con un evidente favor del tribunal. La defensa había citado a la señora Bayard, la zapatera, y al Sr. David Matthieu, médico jefe del hospital Ammbroise-Paré, oficial de la Legión de honor. La señora Bayard no había visto ni oído nada. El doctor Matthieu se encontraba en el gentío reunido alrededor del agente que le ordenaba al vendedor circular. Su declaración causó un incidente.

     – He sido testigo de la escena, dijo. Me percaté de que el agente se había equivocado: no había sido insultado. Me acerqué y se lo hice saber. El agente mantuvo al vendedor en estado de arresto y me invitó a seguirlo a la comisaría. Lo que hice. Reiteré mi declaración ante el comisario.

     – Puede sentarse, dijo el presidente. Ujier, llame al testigo Matra.

     – Matra, cuando ha procedido al arresto del acusado, ¿el señor doctor Matthieu no le ha hecho la observación de que estaba confundido?

     – Señor presidente, él me ha insultado.

     – ¿Qué le ha dicho?

     – Me ha dicho “Mort aux vaches!”

     Un rumor y risas se elevaron en el auditorio.

     – Puede retirarse, dijo el presidente con precipitación.

     Y le advirtió al público que si esas manifestaciones indecentes se repetían, haría evacuar la sala. Sin embargo, la defensa agitaba triunfalmente las mangas de la toga, y en ese momento se pensaba que Crainquebille sería liberado.

     Restablecida la calma, el señor Lemerle se levantó. Comenzó su arenga con el elogio de los agentes de la prefectura, “esos modestos servidores de la sociedad que, con un sueldo irrisorio, soportan fatigas y afrontan peligros incesantes, y que practican el heroísmo cotidiano. Son antiguos soldados, y siguen siendo soldados. Soldados, esa palabra lo dice todo…”

     Y el abogado Lemerle se elevó, sin esfuerzo, a unas consideraciones muy altas sobre las virtudes militares. Él era de los “que no permiten, dijo, que se toque a la armada, a esta armada nacional a la que estaba orgulloso de pertenecer”.

     El presidente inclinó la cabeza.

     El abogado Lemerle, en efecto, era lugarteniente en reserva. Era también candidato nacionalista en el barrio de Vieilles-Haudriettes.

     Y prosiguió:

     –  En efecto, no desconozco los servicios modestos y preciosos que prestan diariamente los guardianes de la paz a la valerosa población de París. Y yo no habría consentido presentarles, señores, la defensa de Crainquebille, si yo viera en él al agraviador de un antiguo soldado. Se acusa a mi cliente de haber dicho “Mort aux vaches!” El sentido de esta frase no es dudoso. Si hojean el Dictionnaire de la langue verte, leerán: “Vachard, perezoso, holgazán; quien se tiende perezosamente como una vaca, en lugar de trabajar. – Vache, quien se vende a la policía; chivato.” Mort aux vaches! Se dice en cierto mundo. Pero la cuestión es esta: ¿Cómo lo ha dicho Crainquebille? Es más, ¿lo ha dicho? Permítanme, señores, dudarlo.

     «Yo no sospecho que el agente Matra tenga ninguna mala intención. Pero él realiza, como hemos dicho, una tarea penosa. Algunas veces, está cansado, sobrepasado, agotado. En esas condiciones puede haber sido víctima de una suerte de alucinación del oído. Y cuando él viene a decirnos, señores, que el doctor David Matthieu, oficial de la Legión de honor, médico jefe del hospital Ambroise-Paré, un príncipe de la ciencia y un hombre educado, ha gritado “Mort aux vaches!”, nosotros nos vemos forzados a reconocer que Matra estaba dominado por la enfermedad de la obsesión, y, si el término no es muy fuerte, por un delirio de persecución.

     «Y, por tanto, aunque Crainquebille hubiera gritado “Mort aux vaches!”, quedaría por saberse si esa palabra tiene, en su boca, el carácter de un delito. Crainquebille es hijo natural de una vendedora ambulante, perdida por el desorden de su vida y por la bebida. Él ha nacido alcohólico. Aquí lo ven, embrutecido por sesenta años de miseria. Señores, dirán que él es irresponsable.»

     El abogado Lemerle se sentó y el Sr. presidente Bourriche leyó entre dientes la sentencia por la que se condenaba a Jérôme Crainquebille a quince días de prisión y a una multa de cincuenta francos. El tribunal había basado su convicción en el testimonio del agente Matra.

     Conducido por los largos pasillos del Palacio, Crainquebille sintió una inmensa necesidad de simpatía. Se volvió hacia el guardia de París que lo llevaba y lo llamó tres veces:

     – ¡Guardia!… ¡Guardia!… ¿Eh? ¡Guardia!…

     Y suspiró:

     – ¡Si solo hace quince días me hubieran dicho que me iba a ocurrir lo que me está ocurriendo!…

     Luego hizo esta reflexión:

     – Esos señores hablan demasiado rápidos, hablan bien, pero hablan demasiado rápidos. Uno no puede explicarse con ellos… Guardia, ¿usted no ve que hablan demasiado rápidos?

     Pero el soldado caminaba sin responderle y sin girar la cabeza.

     Crainquebille le preguntó:

     – ¿Por qué no me responde?

     Y el soldado guardó silencio. Y Crainquebille le dijo con amargura:

     – Se le habla hasta a un perro. ¿Por qué no me habla? ¿Usted no abre nunca la boca, no tiene miedo de que le apeste?

IV. APOLOGÍA DEL SR. PRESIDENTE BOURRICHE

     Algunos curiosos y dos o tres abogados abandonaron la audiencia después de la lectura de la detención, cuando ya el escribano llamaba para otra causa. Los que salían en modo alguno reflexionaban sobre el caso Crainquebille, que apenas les había interesado, y en el que ya ni pensaban. Solo el Sr. Jean Lermite, grabador de aguafuerte, que había venido por casualidad al palacio, meditaba sobre lo que acababa de ver y de oír.

     Puso su brazo en el hombro del abogado Joseph Aubarrée:

     – Lo que hay que alabar en el presidente Bourriche, le dijo, es haber sabido defenderse de las vanas curiosidades del espíritu y guardarse de este orgullo intelectual que quiere conocerlo todo. Si hubiera opuesto, la una a la otra, las declaraciones contradictorias del agente Matra y del doctor David Matthieu, el juez habría entrado en un camino en el que solo se encuentra la duda y la incertidumbre. El método que consiste en examinar los hechos según las reglas de la crítica es irreconciliable con una buena administración de la justicia. Si el magistrado tuviera la imprudencia de seguir ese método, sus juicios dependerían de su sagacidad personal, que casi siempre es pequeña, y de la invalidez humana, que es constante. ¿Qué pasaría con la autoridad? No se puede negar que el método histórico es completamente inapropiado para procurarle las certezas que necesita. Basta con recordar la aventura de Walter Raleigh.

     «Un día en el que Walter Raleigh, encerrado en la Torre de Londres, trabajaba, según su costumbre, en la segunda parte de su Historia del mundo, una pelea estalló bajo su ventana. Fue a ver a esa gente que se querellaba, y cuando volvió al trabajo, pensaba que la había observado bien. Pero, al día siguiente, tras hablarle de este asunto a uno de sus amigos que había estado presente y que incluso había participado en ello, este lo contradijo en cada uno de los detalles. Reflexionando, entonces, en la dificultad de conocer la verdad de los hechos lejanos, cuando él incluso había podido equivocarse en lo ocurría ante sus ojos, echó al fuego el manuscrito de su historia.

     «Si los jueces tuvieran los mismos escrúpulos que sir Walter Raleigh, arrojarían al fuego todos sus expedientes. No tienen derecho a ello. Eso sería, por su parte, una denegación de la justica, un crimen. Hay que renunciar a saber, pero no hay que renunciar a juzgar. Los que quieren que los fallos de los tribunales se basen en la búsqueda metódica de los hechos son unos sofistas peligrosos y unos enemigos pérfidos de la justicia civil y de la justicia militar. El presidente Bourriche tiene un espíritu demasiado jurídico para hacer que sus sentencias dependan de la razón y de la ciencia, cuyas conclusiones están sujetas a eternas disputas. Él las basa en los dogmas y las asienta en la tradición, de modo que sus juicios igualan en autoridad a los mandamientos de la iglesia. Sus sentencias son canónicas. Entiendo que las toma de un cierto número de cánones sagrados. Vea, por ejemplo, que él clasifica a los testigos no de acuerdo con caracteres inciertos y engañosos de la verosimilitud y de la verdad humana, sino de acuerdo con caracteres intrínsecos, permanentes y manifiestos. Él los pesa con el peso de las armas. ¿Hay algo más simple y más sabio a la vez? Considera irrefutable el testimonio de un guardián de la paz, haciendo abstracción de su humanidad y concebido metafísicamente en tanto que es un número de matrícula según las categorías de la policía ideal. No es que Matra (Bastien), nacido en Cinto-Monte (Córcega), le parezca incapaz de error. Él nunca ha pensado que Bastien Matra estuviera dotado de un gran espíritu de observación, ni que hubiera aplicado en el examen de los hechos un método exacto y riguroso. Para decir la verdad, él no considera a Bastien Matra, sino al agente 64. – Un hombre es falible, piensa. Pierre y Paul pueden equivocarse. Descartes, Gassendi, Leibnitz y Newton, Bichat y Claude Bernard han podido equivocarse. Todos en todo momento nos equivocamos. Nuestras razones de error son innumerables. Las percepciones de los sentidos y los juicios del espíritu son fuente de ilusión y causas de incertidumbre. No hay que confiar en el testimonio de un hombre: Testis unus, testis nullus. Pero se puede tener fe en un número. Bastien Matra, de Cinto-Monte, es falible. Pero el agente 64, hecha abstracción de su humanidad, no se equivoca. Es una entidad. En una entidad no hay nada de lo que pertenece a los hombres, y los turba, los corrompe y los engaña. Ella es pura, inalterable y sin mezcla. Así, el tribunal no ha dudado en rechazar el testimonio del doctor David Matthieu, que no es más que un hombre, para aceptar el del agente 64, que es una idea pura, y como un rayo de Dios que ha bajado a estrados.

     «Procediendo de este modo, el presidente Bourriche se asegura una suerte de infalibilidad, la única a la que un juez puede aspirar. Cuando el hombre que testimonia está armado de un sable, es el sable lo que hay que escuchar, y no al hombre. El hombre es falible y puede errar. El sable no lo es y siempre tiene razón. El presidente Bourriche ha penetrado profundamente en el espíritu de las leyes. La sociedad descansa en la fuerza, y la fuerza debe ser respetada como el fundamento augusto de las sociedades. La justicia es la administración de la fuerza. El presidente Bourriche sabe que el agente 64 es una partícula del Príncipe. El Príncipe reside en cada uno de sus oficiales. Arruinar la autoridad del agente 64 es debilitar al Estado. Comerse una hoja de esa alcachofa es comerse la alcachofa, como dijo Bossuet en su sublime lenguaje. (Politique tirée de l’Écriture sainte, passim.)

     «Todas las espadas de un Estado se vuelven en el mismo sentido. Oponiendo las unas a las otras, se subvierte la república. Esa es la razón por la que el inculpado Crainquebille ha sido condenado a quince días de prisión y a una multa de cincuenta francos, con el testimonio del agente 64. Creo escuchar al presidente Bourriche explicar él mismo las altas y hermosas razones que inspiraron su sentencia. Yo creo oírle decir:

     – He juzgado a este individuo de conformidad con el agente 64, porque el agente 64 es la emanación de la fuerza pública. Y para reconocer mi sabiduría, les basta imaginar que he actuado de modo inverso. Verán de inmediato que ello hubiera sido absurdo. Pues si yo juzgara contra la fuerza, mis sentencias no serían ejecutadas. Noten, señores, que los jueces no son obedecidos sino en la medida en que tienen la fuerza con ellos. Sin los gendarmes, el juez no sería más que un pobre soñador. Me perjudicaría si le quitara la razón a un gendarme. Además, el carácter de las leyes se opone a ello. Desarmar a los fuertes y armar a los débiles sería cambiar el orden social que tengo la misión de conservar. La justicia es la sanción de las injusticias establecidas.  ¿Se la ha visto alguna vez opuesta a los conquistadores y contraria a los usurpadores? Cuando se alza un poder ilegítimo, no tiene sino que reconocerlo para hacerlo legítimo. Todo está en la forma, entre el crimen y la inocencia no hay sino el espesor de una hoja de papel timbrado. – Era usted, Crainquebille, el que tenía que ser el más fuerte. Si tras gritar “Mort aux vaches!”, se hubiera declarado emperador, dictador, presidente de la República o solamente consejero municipal, le aseguro que no lo habría condenado a quince días de cárcel y a una multa de cincuenta francos. Le habría absuelto de cualquier pena. Puede creerme.

     «Así, sin duda, habría hablado el presidente Bourriche, pues tiene espíritu jurídico y sabe lo que un magistrado le debe a la sociedad. Él defiende sus principios con orden y regularidad. La justicia es social. Solo los malos espíritus la quieren humana y sensible. Se la administra con reglas fijas y no con los temblores de la carne y las luces de la inteligencia. Sobre todo, no le pidan que sea justa, ella no tiene necesidad de serlo, puesto que es la justicia, y yo incluso les diré que la idea de una justica justa solo ha podido germinar en la cabeza de un anarquista. El presidente Magnaud dicta, es verdad, sentencias equitativas. Pero se las anulan, y eso es justicia.

     «El verdadero juez pesa los testimonios con el peso de las armas. Eso se ha visto en el asunto Crainquebille, y en otras causas más célebres.»

     Así habló el Sr. Jean Lermite, mientras recorría de un extremo al otro el largo vestíbulo.

     El abogado Joseph Aubarrée, que conocía el Palacio, le respondió rascándose la punta de la nariz:

     – Si quiere que le diga mi opinión, yo no creo que el señor presidente Bourriche se haya elevado a tan alta metafísica. A mi juicio, al admitir el testimonio del agente 64 como expresión de la verdad, él simplemente hizo lo que siempre había visto hacer. Es en la imitación donde hay que buscar la razón de la mayor parte de los actos humanos. Si uno se adapta a la costumbre, siempre pasa por un hombre honesto. Se llama gente de bien a quien hace lo que hacen los demás.

V. DE LA SUMISIÓN DE CRAINQUEBILLE A LAS LEYES DE LA REPÚBLICA

     Crainquebille, llevado a prisión, se sentó en su taburete encadenado, lleno de asombro y de admiración. Él mismo no sabía bien que los jueces se hubieran equivocado. El tribunal le había ocultado sus debilidades íntimas bajo la majestad de las formas. No podía creer que tenía razón contra los magistrados cuyas razones no había comprendido: le resultaba imposible concebir que algo no encajara en una ceremonia tan hermosa. Pues, al no ir ni a misa, ni a los Elíseos, no había visto en toda su vida nada tan hermoso como un juicio de policía correccional. Él sabía muy bien que no había gritado “Mort aux vaches!” Y, que él hubiera sido condenado a quince días de cárcel por haberlo gritado, era, en su pensamiento, un misterio augusto, uno de esos artículos de fe a los que los creyentes se adhieren sin comprenderlos, una revelación oscura, brillante, adorable y terrible.

     Este pobre y viejo hombre se reconocía culpable de haber ofendido místicamente al agente 64, como el muchacho que va a la catequesis se reconoce culpable del pecado de Eva. Se le había enseñado, a través de su sentencia, que él había gritado “Mort aux vaches!”. Era, entonces, de una manera misteriosa, desconocida por él mismo como había gritado “Mort aux vaches!”. Lo habían trasladado a un mundo sobrenatural. Su juicio era su apocalipsis.

     Si él no se podía hacer una idea nítida del delito, tampoco se la hacía más nítida de la pena. Su condena le había parecido algo solemne, ritual y superior, algo deslumbrante que no se comprende, que no se discute, y por lo que no hay ni que alabarse ni quejarse. Si él a esta hora hubiera visto al presidente Bourriche, con una aureola en la frente, descender, con alas blancas, desde el techo entreabierto, él no se habría sorprendido de esta nueva manifestación de la gloria judicial. Se habría dicho: “¡He aquí que mi caso continúa!”

     Al día siguiente, su abogado vino a verlo:

     – Y bien, buen hombre, ¿no está muy mal, no? ¡Ánimo!, dos semanas pasan pronto. No tenemos mucho de lo que quejarnos.

     – En eso, se puede decir que estos señores han sido muy dulces, muy amables, ni una palabrota. No lo hubiera creído. Y el guardia se había puesto guantes blancos. ¿No lo ha visto?

     –  En conclusión, hemos hecho bien en confesar.

     – Es posible.

     – Crainquebille, tengo que darle una buena noticia. Una persona caritativa, que he interesado a su favor, me ha entregado para usted la suma de cincuenta francos que será usada para pagar la multa a la que ha sido condenado.

     – ¿Y cuándo me dará los cincuenta francos?

     – Se entregarán en la escribanía. No se inquiete.

     – Da igual. Le doy las gracias igualmente a esa persona.

     Y Crainquebille, meditabundo, murmuró:

     – No es normal lo que me ocurre.

     – No exagere, Crainquebille. Su caso no es raro, al contrario.

     – ¿Podría decirme dónde han metido mi carro?

VI. CRAINQUEBILLE ANTE LA OPINIÓN

     Crainquebille, ya fuera de la prisión, empujaba su carro por la calle Montmartre gritando: ¡Coles, nabos, zanahorias! No estaba ni orgulloso ni avergonzado de su aventura. Guardaba un recuerdo penoso.  Eso se parecía, en su espíritu, al teatro, al viaje y al sueño. Estaba sobre todo contento de caminar en el lodo, en el suelo de la ciudad, y de ver sobre su cabeza el cielo húmedo y sucio como un arroyo, el buen cielo de su ciudad. Se paraba en todas partes para beber un trago; luego, libre y alegre, tras escupir en sus manos para lubrificar sus palmas callosas, empuñaba las varas y empujaba el carro, mientras, delante de él, los gorriones, mañaneros y pobres como él, que se buscaban la vida en la calle, volaban en bandadas con su grito familiar: ¡Coles, nabos, zanahorias! Una vieja ama de casa, que se había acercado, le decía tanteando los apios:

     – ¿Qué le ha ocurrido, padre Crainquebille? Hace tres semanas que no se le ve. ¿Ha estado enfermo? Está un poco pálido.

     – Voy a decírselo, señora Mailloche, he vivido de las rentas.

     Nada ha cambiado en su vida, solo que va más de lo habitual a la taberna, porque tiene la idea de que es fiesta, y ha conocido a gente caritativa. Regresa un poco alegre a su buhardilla. Tendido en el jergón, se arrebuja en los sacos que le ha prestado el vendedor de castañas de la esquina y que le sirven de manta, y él sueña: “La prisión, no hay en ella de lo que quejarse; se tiene allí todo lo que se necesita. Pero, a pesar de todo, se está mejor en la casa de uno.”

     Su contento fue de poca duración. Se percató pronto de que los clientes le ponían mala cara.

     – ¡Buenos apios, señora Cointreau!

     – No necesito nada.

     – ¿Cómo que no necesita nada? Y sin embargo, no vive del aire.

    Y la señora Cointreau, sin responderle, regresaba con orgullo a la gran panadería de la que era dueña. Las tenderas y las porteras, hacía poco asiduas alrededor de su carro verde y florido, ahora se alejaban de él. Cuando llegó a la zapatería del Ange Gardien, que es el punto en que comenzaron sus aventuras con la justicia, llamó:

     – Señora Bayard, señora Bayard, me debe setenta céntimos de la otra vez.

     Pero la señora Bayard, que estaba junto al mostrador, no se dignó a volver la cabeza.

     Toda la calle Montmartre sabía que el padre Crainquebille salía de la prisión, y toda la calle Montmartre no lo reconocía ya. El ruido de su condena había llegado hasta el barrio y la esquina tumultuosos de la calle Richer. Allí, hacia mediodía, él divisó a la señora Laure, su buena y fiel cliente, inclinada sobre el carro del joven Martin. Tanteaba una gran col. Sus cabellos brillaban al sol como abundantes hilos de oro largamente trenzados. Y el joven Martin, un cualquiera, un sucio tipejo, le juraba con la mano en el corazón, que no había mercancía más hermosa que la suya. Ante este espectáculo, el corazón de Crainquebille se desgarró. Empujó su carro sobre el del joven Martin, y le dijo a la señora Laure con una voz quejumbrosa y rota:

     – No está bien que me sea infiel.

     La señora Laure, como ella misma lo reconocía, no era duquesa. No era en el mundo donde se había hecho una idea del furgón y del calabozo. Pero se puede ser honesto en todos los estados, ¿no es cierto? Cada uno tiene su amor propio, y no se desea tener que ver con un individuo que sale de la cárcel. Así, ella no le respondió más que simulando náuseas. Y el viejo vendedor ambulante, sintiendo la afrenta, gritó:

     – ¡Espabilada!, ¡vamos!

     La señora Laura dejó caer su col verde y exclamó:

     – ¡Eh!, ¡vamos!, ¡viejo reincidente! ¡Este sale de la cárcel, y ya está insultando a las personas!

     Crainquebille, si hubiera guardado la calma, nunca le habría reprochado a la señora Laura su condición. Sabía muy bien que no se hace en la vida lo que se quiere, que no se elige el trabajo, y que hay buena gente en todos lados. Tenía la costumbre de ignorar sabiamente lo que hacían en sus casas sus clientes, y no despreciaba a nadie. Pero estaba fuera de sí. Llamó tres veces a la señora Laure espabilada, carroña y furcia. Un círculo de curiosos se formó alrededor de la señora Laure y de Crainquebille, que intercambiaron además otras muchas injurias tan solemnes como las primeras, y que habrían desgranado todas las cuentas del rosario, si un agente que apareció de pronto no los hubiera vuelto de golpe, con su silencio y su inmovilidad, tan mudos e inmóviles como él. Se dispersaron. Pero esta escena acabó de perder a Crainquebille en el espíritu del barrio de Montmartre y de la calle Richer.

VII. LAS CONSECUENCIAS

     Y el viejo hombre iba murmurando:

     – Es una completa zorra. Es más, no hay ninguna que sea más zorra que ella.

     Pero, en el fondo de su corazón, no era eso lo que le reprochaba. No la despreciaba por ser lo que era. Es más, la estimaba, al saberla ahorradora y ordenada. Antes, los dos hablaban muy a gusto.  Ella le hablaba de sus parientes que vivían en el campo. Y los dos abrigaban el mismo deseo de cultivar un pequeño jardín y de criar gallinas. Era una buena clienta. Al verla comprándole unas coles al joven Martin, un sucio tipejo, un cualquiera, había recibido un golpe en el estómago; y cuando la vio poniéndole cara de desprecio, se enojó, ¡rediós!

     Lo peor es que no era la única que lo trataba como a un sarnoso. Nadie quería reconocerlo ya. Como la señora Laure, también la señora Cointreau, la panadera, la señora Bayard del Ange-Gardien lo despreciaban y lo rechazaban. Toda una sociedad, en fin.

     ¡Vaya!, porque había estado quince días a la sombra, ¡ya no servía ni siquiera para vender puerros! ¿Eso era justo? ¿Había sentido común en hacer morir de hambre a un buen hombre porque había tenido dificultades con la pasma? Si él no podía vender ya sus verduras, no tenía más que reventar.

     Como el vino mal tratado, se agriaba. Tras tener unas palabras con la señora Laure, las tenía ahora con todo el mundo. Por una nadería, les hablaba con descaro a las parroquianas, y sin consideración (les ruego que lo crean). Si ellas tanteaban durante largo tiempo la mercancía, las llamaba exactamente gruñonas y miserables; lo mismo en las tabernas, donde con todos los compañeros armaba una bronca. Su amigo, el vendedor de castañas, que ya no lo reconocía, declaraba que ese sagrado padre Crainquebille era un verdadero puercoespín. No se puede negar: se volvía incongruente, violento, malhablado, grosero. Y era así porque, al encontrar imperfecta la sociedad, él tenía menos facilidades que un profesor de la Escuela de ciencias morales y políticas para expresar sus ideas sobre los vicios del sistema y sobre las reformas necesarias, pues sus pensamientos no discurrían en su cabeza con orden ni medida.

     La desgracia lo volvía injusto. Se vengó de los que no le tenían mala voluntad y algunas veces con los que eran más débiles que él. Una vez, le dio una bofetada a Alphonse, el hijo del vendedor de vino, que le había preguntado si se estaba bien a la sombra. Lo abofeteó y le dijo:

     – ¡Golfo!, es tu padre el que debería estar a la sombra en lugar de enriquecerse vendiendo veneno.

     Acto y palabras que no le hacían honor alguno, pues, tal como se lo mostró justamente el vendedor de castañas, no se le debe pegar a un niño, ni reprocharle nada de su padre, al que no ha escogido.

     Se había tirado a la bebida. Cuanto menos dinero ganaba, más aguardiente bebía. Ahorrador y sobrio antes, él mismo se maravillaba de su propio cambio.

     – No he sido nunca despilfarrador, se decía. Habrá que creer que al envejecer se vuelve uno menos razonable.

     A veces juzgaba severamente su desarreglo y su pereza:

    – Mi viejo Crainquebille, ya solo sirves para empinar el codo.

     A veces se engañaba a sí mismo y se persuadía de que bebía por necesidad:

     – Es necesario que de vez en cuando me beba un trago para fortalecerme y refrescarme. Seguro que tengo dentro algo que me quema. Además, la bebida me refresca.

     A menudo le ocurría que faltaba a la subasta matinal y no se proveía ya sino de la mercancía estropeada que le daban a crédito. Un día, al sentirse las piernas débiles y el corazón cansado, dejó su carro en el cobertizo y se pasó todo el santo día dando vueltas alrededor del puesto de la señora Rosa, la casquera, y delante de todas las tabernas de les Halles. Por la tarde, sentado en una cesta, meditó, y tuvo conciencia de su decadencia. Se acordó de su fuerza primera y de sus antiguos trabajos, de sus largas fatigas y de sus ganancias felices, de sus días innumerables, iguales y plenos; los cien pasos de noche, en el mercado alrededor de las Halles, esperando la subasta; las verduras que se llevaba a brazadas y ordenaba con arte en su carro, el café de la madre Théodore que se tomaba de un trago, en el último momento, con las varas empuñadas con fuerza; su grito, vigoroso como el canto del gallo, rasgando el aire matinal, su carrera por las calles populosas, toda su vida inocente y ruda de caballo humano, que durante medio siglo llevó, en su puesto ambulante, a los ciudadanos agotados por las vigilias y las preocupaciones la fresca cosecha de los huertos, y sacudiendo la cabeza, suspiró:

     – ¡No!, ya no tengo el coraje que tenía. Estoy acabado. Tanto va el cántaro a la fuente, que al final se rompe. Y además, después de mi caso con la justicia, ya no tengo el mismo carácter. ¡Ya no soy el mismo hombre!

     En fin, estaba desmoralizado. Un hombre en ese estado, es como decir que es un hombre por los suelos e incapaz de levantarse. Todos los que pasan lo pisan.

VIII. LAS ÚLTIMAS CONSECUENCIAS

     La miseria llegó, la miseria negra. El viejo vendedor ambulante, que reunía antes en el barrio de Montmartre quinientos céntimos, llenándose el bolso, ahora no tenía ya ni un chavo. Era invierno. Expulsado de su buhardilla, se acostó bajo las carretas, en un cobertizo. Llovió durante veinticuatro días, las alcantarillas se desbordaron y el cobertizo se inundó.

     Acuclillado en su carro, por encima de las aguas emponzoñadas, en compañía de arañas, ratas y gatos famélicos, reflexionaba sobre la cárcel. Al no haber comido nada durante todo el día y al no tener para cubrirse ni los sacos del vendedor de castañas, se acordó de las dos semanas durante las cuales el gobierno le había dado comida y abrigo. Envidió la suerte de los prisioneros, pues no padecen ni frío ni hambre, y le vino una idea:

     – Dado que conozco el truco, ¿por qué no iba a servirme de él?

     Se levantó y salió a la calle. Era poco más de las once. Hacía un tiempo inclemente y tenebroso. Una llovizna, más fría y más penetrante que la lluvia, caía. Raros viandantes caminaban a ras de los muros.

     Crainquebille bordeó la iglesia de Saint-Eustache y giró a la calle Montmartre. Estaba desierta. Un guardia estaba plantado en la acera, en la cabecera de la iglesia, bajo un farol de gas, y se veía, alrededor de la llama, caer una fina lluvia roja. El agente la recibía en su capucha, parecía aterido, pero sea que prefiriera la luz a la sombra, sea que estuviera cansado de caminar, permanecía bajo el farol, y quizás hacía de él un compañero, un amigo. Esta llama temblorosa era su único entretenimiento en la noche solitaria. Su inmovilidad no parecía del todo humana; el reflejo de sus botas en la acera mojada, que parecía un lago, prolongaba su mitad inferior y le daba desde lejos el aspecto de un monstruo anfibio, que estaba a medias fuera de las aguas. Desde más cerca, encapuchado y armado, tenía un aire monacal y militar. Los fuertes rasgos de su rostro, agrandados más por la sombra de la capucha, eran tranquilos y tristes. Tenía un bigote espeso, corto y gris. Era un viejo sargento, un hombre de unos cuarenta años.

     Crainquebille se le acercó despacio, y con una voz dudosa y débil, le dijo:

     – “Mort aux vaches!”

     Luego esperó el efecto de esta palabra consagrada. Pero no le siguió efecto alguno. El sargento se quedó inmóvil y mudo, con los brazos cruzados bajo su capa corta. Sus ojos, muy abiertos, que brillaban en la sombra, miraban a Crainquebille con tristeza, vigilancia y desprecio.

      Crainquebille, asombrado, pero guardando aún un poco de su decisión, balbució:

     – “Mort aux vaches!” le he dicho.

     Hubo un largo silencio durante el cual caía la lluvia fina y roja y reinaba la sombra glacial. Al fin, el sargento habló:

     – Eso no se debe decir… Verdaderamente, eso no se debe decir. A su edad se debería tener más conocimiento… Siga su camino.

     – ¿Por qué no me detiene? – preguntó Crainquebille.

      El sargento sacudió la cabeza bajo la capucha húmeda:

     – Si se tuviera que prender a todos los borrachos que dicen lo que no se debe decir, ¡bonito trabajo tendríamos!… ¿Y para qué serviría?

     Crainquebille, hundido por ese desdén magnánimo, se quedó largo tiempo atónito y mudo, con los pies en el arroyo. Antes de marcharse, intentó explicarse:

      – No era a usted a quien le he dicho “Mort aux vaches!” No era ni contra uno ni contra otro por lo que lo he dicho. Era por una idea.

     El sargento respondió con una austera dulzura:

     – Sea por una idea o por otra cosa, no es algo que se deba decir, porque cuando un hombre cumple su deber y soporta sufrimientos, no se le debe insultar con palabras fútiles… Le repito que siga su camino.

      Crainquebille, cabizbajo, con los brazos colgando, se adentró bajo la lluvia en la sombra.

 

[i] Bousingot: En la Francia posterior a la revolución de 1830, se usaba dicho término para referirse a jóvenes escritores y artistas románticos que manifestaban opiniones muy liberales.

[ii] F(outre): En el original solo aparece la F-

[iii] Mort aux vaches!: Durante la guerra franco-alemana (1870-1871), los franceses insultaban a los soldados alemanes con esta frase. Este uso del término francés vaches nace como imitación del término alemán Wache (´guardia`) que  estaba ecrito en las garitas de los centinelas alemanes que vigilaban las fronteras. A raíz de ello, la expresión se emplea como insulto a las fuerzas del orden.

 PUTOIS

     «Ce jardin de notre enfance, dit M. Bergeret, ce jardin qu’on parcourait tout entier en vingt pas, fut pour nous un monde immense, plein de sourires et d’épouvantes.

     – Lucien, tu te rappelles Putois? demanda Zoé en souriant à sa coutume, les lèvres closes et le nez sur son ouvrage d’aiguille.

     -Si je me rappelle Putois!… De toutes les figures qui passèrent devant mes yeux quand j’étais enfant, celle de Putois est restée la plus nette dans mon souvenir. Tous les traits de son visage et de son caractère me sont présents à la mémoire. Il avait le crâne pointu…

     -Le front bas», ajouta mademoiselle Zoé.

     Et le frère et la sœur récitèrent alternati-vement d’une voix monotone, avec une gravité baroque, les articles d’une sorte de signalement:

     «Le front bas.

     -Les yeux vairons.

     -Le regard fuyant.

     -Une patte d’oie à la tempe.

     -Les pommettes aiguës, rouges et luisantes.

     -Ses oreilles n’étaient point ourlées.

     -Les traits de son visage étaient dénués de toute expression.

     -Ses mains, toujours en mouvement, trahissaient seules sa pensée.

     -Maigre, un peu voûté, débile en apparence…

     -Il était en réalité d’une force peu commune.

     -Il ployait facilement une pièce de cent sous entre l’index et le pouce…

     -Qu’il avait énorme.

     -Sa voix était traînante…

     -Et sa parole mielleuse.»

     Tout à coup M. Bergeret s’écria vivement:

     «Zoé! nous avons oublié «les cheveux jaunes et le poil rare». Recommençons.»

     Pauline, qui avait entendu avec surprise cette étrange récitation, demanda à son père et à sa tante comment ils avaient pu apprendre par cœur ce morceau de prose, et pourquoi ils le récitaient comme, une litanie.

     Bergeret répondit gravement:

     «Pauline, ce que tu viens d’entendre est un texte consacré, je puis dire liturgique, à l’usage de la famille Bergeret. Il convient qu’il te soit transmis, pour qu’il ne périsse pas avec ta tante et moi. Ton grand-père, ma fille, ton grand-père Éloi Bergeret, qu’on n’amusait pas avec des niaiseries, estimait ce morceau, principalement en considération de son origine. Il l’intitula: L’Anatomie de Putois. Et il avait coutume de dire qu’il préférait, à certains égards, l’anatomie de Putois à l’anatomie de Quaresmeprenant. «Si la description faite par Xénomanes, disait-il, est plus savante et plus riche en termes rares et précieux, la description de Putois l’emporte de beaucoup pour la clarté des idées et la limpidité du style.» Il en jugeait de la sorte parce que le docteur Ledouble, de Tours, n’avait pas encore expliqué les chapitres trente, trente-un et trente-deux du quart livre de Rabelais.

     – Je ne comprends pas du tout, dit Pauline.

     – C’est faute de connaître Putois, ma fille. Il faut que tu saches que Putois fut la figure la plus familière à mon enfance et à celle de ta tante Zoé. Dans la maison de ton grand-père Bergeret on parlait sans cesse de Putois. Chacun à son tour le croyait voir.»

     Pauline demanda:

     «Qu’est-ce que c’était que Putois?»

     Au lieu de répondre, M. Bergeret se mit à rire, et Mlle Bergeret aussi rit, les lèvres closes.

     Pauline portait son regard de l’un à l’autre. Elle trouvait étrange que sa tante rît de si bon cœur, et plus étrange encore qu’elle rît d’accord et en sympathie avec son frère. C’était singulier en effet, car le frère et la sœur n’avaient pas le même tour d’esprit.

     «Papa, dis-moi ce que c’était que Putois. Puisque tu veux que je le sache, dis-le-moi.

     – Putois, ma fille, était un jardinier. Fils d’honorables cultivateurs artésiens, il s’établit pépiniériste à Saint-Omer. Mais il ne contenta pas sa clientèle et fit de mauvaises affaires. Ayant quitté son commerce, il allait en journée. Ceux qui l’employaient n’eurent pas toujours à se louer de lui.»

     A ces mots, mademoiselle Bergeret, riant encore:

     «Tu te rappelles, Lucien: quand notre père ne trouvait plus sur son bureau son encrier, ses plumes, sa cire, ses ciseaux, il disait: «Je soupçonne Putois d’avoir passé par ici.»

     – Ah! dit M. Bergeret, Putois n’avait pas une bonne réputation.

     – C’est tout? demanda Pauline.

     – Non, ma fille, ce n’est pas tout. Putois eut ceci de remarquable, qu’il nous était connu, familier, et que pourtant…

     – … il n’existait pas», dit Zoé.

     Bergeret regarda sa sœur d’un air de reproche:

     «Quelle parole, Zoé! et pourquoi rompre ainsi le charme? Putois n’existait pas. L’oses-tu dire, Zoé? Zoé, le pourrais-tu soutenir? Pour affirmer que Putois n’exista point, que Putois ne fut jamais, as-tu assez considéré les conditions de l’existence et les modes de l’être? Putois existait, ma sœur. Mais il est vrai que c’était d’une existence particulière.

     – Je comprends de moins en moins, dit Pauline découragée.

     – La vérité t’apparaîtra clairement tout à l’heure, ma fille. Apprends que Putois naquit dans la maturité de l’âge. J’étais encore enfant, ta tante était déjà fillette. Nous habitions une petite maison, dans un faubourg de Saint-Omer. Nos parents y menaient une vie tranquille et retirée, jusqu’à ce qu’ils fussent découverts par une vieille dame audomaroise, nommée Mme Cornouiller, qui vivait dans son manoir de Monplaisir, à cinq lieues de la ville, et qui se trouva être une grand-tante de ma mère. Elle usa d’un droit de parenté pour exiger que notre père et notre mère vinssent dîner tous les dimanches à Monplaisir, où ils s’ennuyaient excessivement.

     Elle disait qu’il était honnête de dîner en famille le dimanche et que seuls les gens mal nés n’observaient pas cet ancien usage. Mon père pleurait d’ennui à Monplaisir. Son désespoir faisait peine à voir. Mais Mme Cornouiller ne le voyait pas. Elle ne voyait rien. Ma mère avait plus de courage. Elle souffrait autant que mon père, et peut-être davantage, et elle souriait.

     – Les femmes sont faites pour souffrir, dit Zoé.

     – Zoé, tout ce qui vit au monde est destiné à la souffrance. En vain nos parents refusaient ces funestes invitations. La voiture de Mme Cornouiller venait les prendre chaque dimanche, après midi. Il fallait aller à Monplaisir ; c’était une obligation à laquelle il était absolument interdit de se soustraire. C’était un ordre établi, que la révolte pouvait seule rompre. Mon père enfin se révolta, et jura de ne plus accepter une seule invitation de Mme Cornouiller, laissant à ma mère le soin de trouver à ces refus des prétextes décents et des raisons variées, c’est ce dont elle était le moins capable. Notre mère ne savait pas feindre.

     – Dis, Lucien, qu’elle ne voulait pas. Elle aurait pu mentir comme les autres.

     – Il est vrai de dire que lorsqu’elle avait de bonnes raisons, elle les donnait plutôt que d’en inventer de mauvaises. Tu te rappelles, ma sœur, qu’il lui arriva un jour de dire, à table: «Heureusement que Zoé a la coqueluche: nous n’irons pas de longtemps à Monplaisir.»

     – C’est pourtant vrai! dit Zoé.

     – Tu guéris, Zoé. Et Mme Cornouiller vint dire un jour à notre mère: «Ma mignonne, je compte bien que vous viendrez avec votre mari dîner dimanche à Monplaisir.» Notre mère, chargée expressément par son mari de présenter à Mme Cornouiller un valable motif de refus, imagina, en cette extrémité, une raison qui n’était pas véritable. «Je regrette vivement, chère madame. Mais cela nous sera impossible. Dimanche, j’attends le jardinier.»

     «A cette parole, Mme Cornouiller regarda, par la porte-fenêtre du salon, le petit jardin sauvage, où les fusains et les lilas avaient tout l’air d’ignorer la serpe et de devoir l’ignorer toujours. «Vous attendez le jardinier! Pourquoi? -Pour travailler au jardin.»

     «Et ma mère, ayant tourné involontairement les yeux sur ce carré d’herbes folles et de plantes à demi sauvages, qu’elle venait de nommer un jardin, reconnut avec effroi l’invraisemblance de son invention. «Cet homme, dit Mme Cornouiller, pourra bien venir travailler à votre… jardin lundi ou mardi. D’ailleurs, cela vaudra mieux. On ne doit pas travailler le dimanche. -Il est occupé dans la semaine.»

     «J’ai remarqué souvent que les raisons les plus absurdes et les plus saugrenues sont les moins combattues: elles déconcertent l’adversaire. Mme Cornouiller insista, moins qu’on ne pouvait l’attendre d’une personne aussi peu disposée qu’elle à démordre. En se levant de dessus son fauteuil, elle demanda: «Comment l’appelez-vous, ma mignonne, votre jardinier? -Putois», répondit ma mère sans hésitation.

     «Putois était nommé. Dès lors il exista. Mme Cornouiller s’en alla en ronchonnant: «Putois! Il me semble bien que je connais ça. Putois? Putois! Je ne connais que lui. Mais je ne me rappelle pas… Où demeure-t-il? -Il travaille en journée. Quand on a besoin de lui, on le lui fait dire chez l’un ou chez l’autre. -Ah! je le pensais bien: un fainéant et un vagabond… un rien du tout. Méfiez-vous de lui, ma mignonne.»

     «Putois avait désormais un caractère.»

     Goubin et Jean Marteau étant survenus, M. Bergeret les mit au point de la conversation:

     «Nous parlions de celui qu’un jour ma mère fit naître jardinier à Saint-Omer et nomma par son nom. Dès lors il agit.

     – Cher maître, voudriez-vous répéter? dit M. Goubin en essuyant le verre de son lorgnon.

     – Volontiers, répondit M. Bergeret. Il n’y avait pas de jardinier. Le jardinier n’existait pas. Ma mère dit: «J’attends le jardinier.» Aussitôt le jardinier fut. Et il agit.

     – Cher maître, demanda M. Goubin, comment agit-il, puisqu’il n’existait pas?

     – Il avait une sorte d’existence, répondit M. Bergeret.

     – Vous voulez dire une existence imaginaire, répliqua dédaigneusement M. Goubin.

     – N’est-ce donc rien qu’une existence imaginaire? s’écria le maître. Et les personnages mythiques ne sont-ils donc pas capables d’agir sur les hommes? Réfléchissez sur la mythologie, monsieur Goubin, et vous vous apercevrez que ce sont, non point des êtres réels, mais des êtres imaginaires qui exercent sur les âmes l’action la plus profonde et la plus durable. Partout et toujours des êtres, qui n’ont pas plus de réalité que Putois, ont inspiré aux peuple la haine et l’amour, la terreur et l’espérance, conseillé des crimes, reçu des offrandes, fait les mœurs et les lois. Monsieur Goubin, réfléchissez sur l’éternelle mythologie. Putois est un personnage mythique, des plus obscurs, j’en conviens, et de la plus basse espèce. Le grossier satyre, assis jadis à la table de nos paysans du Nord, fut jugé digne de paraître dans un tableau de Jordaëns et dans une fable de La Fontaine. Le fils velu de Sycorax entra dans le monde sublime de Shakespeare. Putois, moins heureux, sera toujours méprisé des artistes et des poètes. Il lui manque la grandeur et l’étrangeté, le style et le caractère. Il naquit dans des esprits trop raisonnables, parmi des gens qui savaient lire et écrire et n’avaient point cette imagination charmante qui sème les fables. Je pense, messieurs, que j’en ai dit assez pour vous faire connaître la véritable nature de Putois.

     – Je la conçois», dit M. Goubin.

     Et M. Bergeret poursuivit son discours:

     «Putois était. Je puis l’affirmer. Il était. Regardez-y, messieurs, et vous vous assurerez qu’être n’implique nullement la substance et ne signifie que le lien de l’attribut au sujet, n’exprime qu’une relation.

     – Sans doute, dit Jean Marteau, mais être sans attributs c’est être aussi peu que rien. Je ne sais plus qui a dit autrefois: «Je suis celui qui est.» Excusez le défaut de ma mémoire. On ne peut tout se rappeler. Mais l’inconnu qui parla de la sorte commit une rare imprudence. En donnant à entendre par ce propos inconsidéré qu’il était dépourvu d’attributs et privé de toutes relations, il proclama qu’il n’existait pas et se supprima lui-même étourdiment. Je parie qu’on n’a plus entendu parler de lui.

     – Vous avez perdu, répliqua M. Bergeret. Il a corrigé le mauvais effet de cette parole égoïste en s’appliquant des potées d’adjectifs, et l’on a beaucoup parlé de lui, le plus souvent sans aucun bon sens.

     – Je ne comprends pas, dit M. Goubin.

     – Il n’est pas nécessaire de comprendre», répondit Jean Marteau.

     Et il pria M. Bergeret de parler de Putois.

     «Vous êtes bien aimable de me le demander, fit le maître.

     «Putois naquit dans la seconde moitié du XIXe siècle, à Saint-Omer. Il lui aurait mieux valu naître quelques siècles auparavant dans la forêt des Ardennes ou dans la forêt de Brocéliande. Ç’aurait été alors un mauvais esprit d’une merveilleuse adresse.

     – Une tasse de thé, monsieur Goubin? dit Pauline

     – Putois était-il donc un mauvais esprit? demanda Jean Marteau.

     – Il était mauvais, répondit M. Bergeret, il l’était en quelque manière, mais il ne l’était pas absolument. Il en est de lui comme des diables qu’on dit très méchants, mais en qui l’on découvre de bonnes qualités quand on les fréquente. Et je serais disposé à croire qu’on a fait tort à Putois. Mme Cornouiller, qui, prévenue contre lui, l’avait tout de suite soupçonné d’être un fainéant, un ivrogne et un voleur, réfléchit que puisque ma mère l’employait, elle qui n’était pas riche, c’était qu’il se contentait de peu, et elle se demanda si elle n’aurait pas avantage à le faire travailler préférablement à son jardinier qui avait meilleur renom, mais aussi plus d’exigences. On entrait dans la saison de tailler les ifs. Elle pensa que si Mme Éloi Bergeret, qui était pauvre, ne donnait pas grand-chose à Putois, elle-même, qui était riche, lui donnerait moins encore, puisque c’est l’usage que les riches paient moins cher que les pauvres. Et elle voyait déjà ses ifs taillés en murailles, en boules et en pyramides, sans qu’elle y fît grande dépense. «J’aurai l’œil, se dit-elle, à ce que Putois ne flâne point et ne me vole point. Je ne risque rien et ce sera tout profit. Ces vagabonds travaillent quelquefois avec plus d’adresse que les ouvriers honnêtes.» Elle résolut d’en faire l’essai et dit à ma mère: «Mignonne, envoyez-moi Putois. Je le ferai travailler à Monplaisir.» Ma mère le lui promit. Elle l’eût fait volontiers. Mais vraiment ce n’était pas possible. Mme Cornouiller attendit Putois à Monplaisir, et l’attendit en vain. Elle avait de la suite dans les idées et de la constance dans ses projets. Quand elle revit ma mère, elle se plaignit à elle de n’avoir pas de nouvelles de Putois. «Mignonne, vous ne lui avez donc pas dit que je l’attendais? -Si! mais il est étrange, bizarre… -Oh! je connais ce genre-là. Je le sais par cœur votre Putois. Mais il n’y a pas d’ouvrier assez lunatique pour refuser de venir travailler à Monplaisir. Ma maison est connue, je pense. Putois se rendra à mes ordres, et lestement, ma mignonne. Dites-moi seulement où il loge; j’irai moi-même le trouver.» Ma mère répondit qu’elle ne savait pas où logeait Putois, qu’on ne lui connaissait pas de domicile, qu’il était sans feu ni lieu. «Je ne l’ai pas revu, madame. Je crois qu’il se cache.» Pouvait-elle mieux dire?

     «Mme Cornouiller pourtant ne l’écouta pas sans défiance; elle la soupçonna de circonvenir Putois, de le soustraire aux recherches, dans la crainte de le perdre ou de le rendre plus exigeant. Et elle la jugea vraiment trop égoïste. Beaucoup de jugements acceptés par tout le monde, et que l’histoire a consacrés, sont aussi bien fondés que celui-là.

     – C’est pourtant vrai, dit Pauline.

     – Qu’est-ce qui est vrai? demanda Zoé, à demi sommeillant.

     – Que les jugements de l’histoire sont souvent faux. Je me souviens, papa, que tu as dit un jour: «Mme Roland était bien naïve d’en appeler à l’impartiale postérité et de ne pas s’apercevoir que, si ses contemporains étaient de mauvais singes, leur postérité serait aussi composée de mauvais singes.»

     – Pauline, demanda sévèrement Mlle Zoé, quel rapport y a-t-il entre l’histoire de Putois et ce que tu nous contes là?

     – Un très grand, ma tante.

     – Je ne le saisis pas.»

     Bergeret, qui n’était pas ennemi des digressions, répondit à sa fille:

     «Si toutes les injustices étaient finalement réparées en ce monde, on n’en aurait jamais imaginé un autre pour ces réparations. Comment voulez-vous que la postérité juge équitablement tous les morts? Comment les interroger dans l’ombre où ils fuient? Des qu’on pourrait être juste envers eux, on les oublie. Mais peut-on jamais être juste? Et qu’est-ce que la justice? Mme Cornouiller, du moins, fut bien obligée de reconnaître à la longue que ma mère ne la trompait pas et que Putois était introuvable.

 

 

     «Pourtant elle ne renonça pas à le découvrir. Elle demanda à tous ses parents, amis, voisins, domestiques, fournisseurs, s’ils connaissaient Putois. Deux ou trois seulement répondirent qu’ils n’en avaient jamais entendu parler. Pour la plupart, ils croyaient bien l’avoir vu. «J’ai entendu ce nom-là, dit la cuisinière, mais je ne peux pas mettre un visage dessus. -Putois! Je ne connais que lui, dit le cantonnier en se grattant l’oreille. Mais je ne saurais pas vous dire qui c’est.» Le renseignement le plus précis vint de M. Blaise, receveur de l’enregistrement, qui déclara avoir employé Putois à fendre du bois dans sa cour, du 19 au 23 octobre, l’année de la Comète.

     «Un matin, Mme Cornouiller tomba en soufflant dans le cabinet de mon père: «Je viens de voir Putois. -Ah!

     – Je l’ai vu. -Vous croyez? -J’en suis sûre. Il rasait le mur de M. Tenchant. Puis il a tourné dans la rue des Abbesses, il marchait vite. Je l’ai perdu. -Était-ce bien lui? -Sans aucun doute. Un homme d’une cinquantaine d’années, maigre, voûté, l’air d’un vagabond, une blouse sale. -Il est vrai, dit mon père, que ce signalement peut s’appliquer à Putois. -Vous voyez bien! D’ailleurs, je l’ai appelé. J’ai crié: «Putois!» et il s’est retourné. -C’est le moyen, dit mon père, que les agents de la Sûreté emploient pour s’assurer de l’identité des malfaiteurs qu’ils recherchent. -Quand je vous le disais, que c’était lui!… J’ai bien su le trouver, moi, votre Putois. Eh bien, c’est un homme de mauvaise mine. Vous avez été bien imprudents, vous et votre femme, de l’employer chez vous. Je me connais en physionomies et quoique je ne l’aie vu que de dos, je jurerais que c’est un voleur, et peut-être un assassin. Ses oreilles ne sont point ourlées, et c’est un signe qui ne trompe point. -Ah! vous avez remarqué que ses oreilles n’étaient point ourlées? -Rien ne m’échappe. Mon cher monsieur Bergeret, si vous ne voulez point être assassiné avec votre femme et vos enfants, ne laissez plus entrer Putois chez vous. Un conseil: faites changer toutes vos serrures.»

     «Or, à quelques jours de là, il advint à Mme Cornouiller qu’on lui vola trois melons de son potager. Le voleur n’ayant pu être trouvé, elle soupçonna Putois. Les gendarmes furent appelés à Monplaisir et leurs constatations confirmèrent les soupçons de Mme Cornouiller. Des bandes de maraudeurs ravageaient alors les jardins de la contrée. Mais cette fois le vol semblait commis par un seul individu, et avec une adresse singulière. Nulle trace d’effraction, pas d’empreintes de souliers dans la terre humide. Le voleur ne pouvait être que Putois. C’était l’avis du brigadier, qui en savait long sur Putois et qui se faisait fort de mettre la main sur cet oiseau-là.

     «Le Journal de Saint-Omer consacra un article aux trois melons de Mme Cornouiller et publia, d’après des renseignements fournis en ville, un portrait de Putois. «Il a, disait le journal, le front bas, les yeux vairons, le regard fuyant, une patte d’oie à la tempe, les pommettes aiguës, rouges et luisantes. Les oreilles ne sont point ourlées. Maigre un peu voûté, débile en apparence, il est en réalité d’une force peu commune: il ploie facilement une pièce de cent sous entre l’index et le pouce.»

     «On avait de bonnes raisons, affirmait le journal, de lui attribuer une longue suite de vols accomplis avec une habileté surprenante.

     «Toute la ville s’occupait de Putois. On apprit un jour qu’il avait été arrêté et écroué dans la prison. Mais on reconnut bientôt que l’homme qu’on avait pris pour lui était un marchand d’almanachs nommé Rigobert.

     Comme on ne put relever aucune charge contre lui, on le renvoya après quatorze mois de détention préventive. Et Putois demeurait introuvable. Mme Cornouiller fut victime d’un nouveau vol, plus audacieux que le premier. On prit dans son buffet trois petites cuillers d’argent.

     «Elle reconnut la main de Putois, fit mettre une chaîne à la porte de sa chambre et ne dormit plus.»

     Vers dix heures du soir, Pauline ayant regagné sa chambre, Mlle Bergeret dit à son frère:

     – N’oublie pas de raconter comment Putois séduisit la cuisinière de Mme Cornouiller.

     – J’y songeais, ma sœur, répondit M. Bergeret. L’omettre serait perdre le plus beau de l’histoire. Mais tout doit se faire avec ordre. Putois fut soigneusement recherché par la justice, qui ne le trouva pas. Quand on sut qu’il était introuvable, chacun mit son amour-propre à le trouver; les gens malins y réussirent. Et comme il y avait beaucoup de gens malins à Saint-Omer et aux environs, Putois était vu en même temps dans les rues, dans les champs et dans les bois. Un trait fut ainsi ajouté à son caractère. On lui accorda ce don d’ubiquité que possèdent tant de héros populaires. Un être capable de franchir en un moment de longues distances, et qui se montre tout à coup à l’endroit où on l’attendait le moins, effraye justement. Putois fut la terreur de Saint-Omer. Mme Cornouiller, persuadée que Putois lui avait volé trois melons et trois petites cuillers, vivait dans l’épouvante, barricadée à Monplaisir. Les verrous, les grilles et les serrures ne la rassuraient pas. Putois était pour elle un être effroyablement subtil, qui passait à travers les portes. Un événement domestique redoubla son épouvante. Sa cuisinière ayant été séduite, il vint un moment où elle ne put cacher sa faute.

     Mais elle se refusa obstinément à désigner son séducteur.

     – Elle se nommait Gudule, dit Mlle Zoé.

     – Elle se nommait Gudule et on la croyait protégée contre les dangers de l’amour par une barbe qu’elle portait au menton, longue et fourchue. Une barbe soudaine protégea la virginité de cette sainte fille de roi que Prague vénère. Une barbe qui n’était plus adolescente ne suffit pas à défendre la vertu de Gudule. Mme Cornouiller pressa Gudule de nommer l’homme qui, ayant abusé d’elle, la laissait ensuite dans l’embarras. Gudule fondait en larmes et gardait le silence. Les prières, les menaces ne furent d’aucun effet. Mme Cornouiller fit une longue et minutieuse enquête. Elle interrogea adroitement ses voisins, voisines et fournisseurs, le jardinier, le cantonnier, les gendarmes; rien ne la mit sur la trace du coupable. Elle tenta de nouveau d’obtenir de Gudule des aveux complets. «Dans votre intérêt, Gudule, dites-moi qui c’est.» Gudule restait muette. Tout à coup un trait de lumière traversa l’esprit de Mme Cornouiller: «C’est Putois!» La cuisinière pleura et ne répondit pas.

     «C’est Putois! Comment ne l’ai-je pas deviné plus tôt? C’est Putois! Malheureuse! malheureuse! malheureuse!»

 

     «Et Mme Cornouiller demeura persuadée que Putois avait fait un enfant à sa cuisinière. Tout le monde à Saint-Omer, depuis le président du Tribunal jusqu’au roquet de l’allumeur de réverbères, connaissait Gudule et son panier. A la nouvelle que Putois avait séduit Gudule, la ville fut pleine de surprise, d’admiration et de gaieté. Putois fut célébré comme un grand abatteur de quilles et l’amoureux des onze mille vierges. On lui attribua, sur des indices légers, la paternité de cinq ou six autres enfants qui vinrent au monde cette année-là, et qui eussent aussi bien fait de n’y pas venir, pour le plaisir qui les y attendait et la joie qu’ils causaient à leur mère. On désignait, entre autres, la servante de M. Maréchal, débitant, Au Rendez-Vous des Pêcheurs, une porteuse de pain et la petite bossue du Pont-Biquet, qui, pour avoir écouté Putois, s’étaient accrues d’un petit enfant. «Le monstre!» s’écriaient les commères.

     «Et Putois, invisible satyre, menaçait d’accidents irréparables toutes les jeunesses d’une ville où, disaient les vieillards, les filles, de mémoire d’homme, avaient toujours été tranquilles.

     «Ainsi répandu dans la cité et les environs, il restait attaché à notre maison par mille liens subtils. Il passait devant notre porte et l’on croit qu’il escaladait parfois le mur de notre jardin. On ne le voyait jamais en face.

     Mais à tout moment nous reconnaissions son ombre, sa voix, les traces de ses pas. Plus d’une fois nous crûmes voir son dos dans le crépuscule, au tournant d’un chemin. Avec ma sœur et moi, il changeait un peu de caractère. Il restait mauvais et malfaisant, mais il devenait puéril et très naïf. Il se faisait moins réel et, j’ose dire, plus poétique. Il entrait dans le cycle ingénu des traditions enfantines. Il tournait au Croquemitaine, au père Fouettard et au marchand de sable qui ferme, le soir, les yeux des petits enfants. Ce n’était pas ce lutin qui emmêle, la nuit, dans l’écurie la queue des poulains. Moins rustique et moins charmant, mais également espiègle avec candeur, il faisait des moustaches d’encre aux poupées de ma sœur. Dans notre lit, avant de nous endormir, nous l’écoutions: il pleurait sur les toits avec les chats, il aboyait avec les chiens, il emplissait de gémissements les trémies et imitait dans la rue les chants des ivrognes attardés.

     «Ce qui nous rendait Putois présent et familier, ce qui nous intéressait à lui, c’est que son souvenir était associé à tous les objets qui nous entouraient. Les poupées de Zoé, mes cahiers d’écolier, dont il avait tant de fois embrouillé et barbouillé les pages, le mur du jardin au-dessus duquel nous avions vu luire, dans l’ombre, ses yeux rouges, le pot de faïence bleue qu’une nuit d’hiver il avait fendu, à moins que ce ne fût la gelée; les arbres, les rues, les bancs, tout nous rappelait Putois, notre Putois, le Putois des enfants, être local et mythique. Il n’égalait pas en grâce et en poésie le plus lourd égipan, le faune le plus épais de Sicile ou de Thessalie. Mais c’était un demi-dieu encore.

     «Pour notre père, il avait un tout autre caractère: il était emblématique et philosophique. Notre père avait une grande pitié des hommes. Il ne les croyait pas très raisonnables; leurs erreurs, quand elles n’étaient point cruelles, l’amusaient et le faisaient sourire. La croyance en Putois l’intéressait comme un abrégé et un compendium de toutes les croyances humaines. Comme il était ironique et moqueur, il parlait de Putois ainsi que d’un être réel. Il y mettait parfois tant d’insistance et marquait les circonstances avec une telle exactitude, que ma mère en était toute surprise et lui disait dans sa candeur: «On dirait que tu parles sérieusement, mon ami: tu sais pourtant bien…»

     «Il répondait gravement: «Tout Saint-Omer croit à l’existence de Putois. Serais-je un bon citoyen si je la niais? Il faut y regarder à deux fois avant de supprimer un article de la foi commune.»

     «Un esprit parfaitement honnête a seul de semblables scrupules. Au fond, mon père était gassendiste. Il accordait son sentiment particulier avec le sentiment public, croyant comme les Audomarois à l’existence de Putois, mais n’admettant pas son intervention directe dans le vol des melons et la séduction des cuisinières.

     Enfin il professait sa croyance en l’existence d’un Putois, pour être bon Audomarois; et il se passait de Putois pour expliquer les événements qui s’accomplissaient dans la ville. De sorte qu’en cette circonstance, comme en tout autre, il fut un galant homme et un bon esprit.

     «Quant à notre mère, elle se reprochait un peu la naissance de Putois, et non sans raison. Car enfin Putois était né d’un mensonge de notre mère, comme Caliban du mensonge du poète. Sans doute les fautes n’étaient pas égales et ma mère était plus innocente que Shakespeare. Pourtant elle était effrayée et confuse de voir son mensonge bien mince grandir démesurément, et sa légère imposture remporter un si prodigieux succès, qui ne s’arrêtait pas, qui s’étendait sur toute une ville et menaçait de s’étendre sur le monde. Un jour même elle pâlit, croyant qu’elle allait voir son mensonge se dresser devant elle. Ce jour-là, une bonne qu’elle avait, nouvelle dans la maison et dans le pays, vint lui dire qu’un homme demandait à la voir. Il avait, disait-il, besoin de parler à madame. «Quel homme est-ce? -Un homme en blouse. Il a l’air d’un ouvrier de la campagne. – A-t-il dit son nom? -Oui, madame. -Eh bien, comment se nomme-t-il? -Putois. -Il vous a dit qu’il se nommait?… -Putois, oui, madame. -Il est ici?… -Oui, madame. Il attend dans la cuisine. -Vous l’avez vu? -Oui, madame. -Qu’est-ce qu’il veut? -Il ne me l’a pas dit. Il ne veut le dire qu’à madame. -Allez le lui demander.»

      «Quand la servante retourna dans la cuisine, Putois n’y était plus. Cette rencontre de la servante étrangère et de Putois ne fut jamais éclaircie. Mais je crois qu’à partir de ce jour ma mère commença à croire que Putois pouvait bien exister, et qu’elle pouvait bien n’avoir pas menti.»

PUTOIS

     «Este jardín de nuestra infancia, dijo el señor Bergeret, este jardín que se recorría completo en veinte pasos, fue para nosotros un mundo inmenso, lleno de sonrisas y temores.

     – Lucien, ¿te acuerdas de Putois?, preguntó Zoé sonriendo a su manera, con los labios cerrados y la nariz metida en su labor de costura.

     – ¡Sí, me acuerdo de Putois!… De todas las figuras que pasaron ante mis ojos cuando era niño, la de Putois es la que se ha quedado de modo más nítido en mi recuerdo. Todos los rasgos de su cara y de su carácter están presentes en mi memoria. Tenía el cráneo puntiagudo…

     – La frente baja, añadió la señorita Zoé.

     Y el hermano y la hermana recitaron alternativamente con una voz monótona, con una gravedad barroca, los artículos de una especie de descripción:

     «- La frente baja.

     – Los ojos de colores diferentes

     – La mirada huidiza.

     – Pata de gallos en las sienes.

     – Los pómulos agudos, rojos y brillantes.

     – Sus orejas no estaban nada ribeteadas.

     – Los rasgos de su cara estaban desprovistos de expresión.

     – Sus manos, siempre en movimiento, traicionaban solas su pensamiento.

     – Delgado, un poco encorvado, débil en apariencia…

     – Tenía, en realidad, una fuerza poco común.

     – Doblaba fácilmente una moneda de cien céntimos entre el índice y el pulgar…

     – Que era enorme

     – Su voz era lánguida

     – Y su palabra, melosa.»

     De golpe, el señor Bergeret exclamó vivamente:

     – ¡Zoé!, hemos olvidado «los cabellos amarillos y el vello escaso». Comencemos de nuevo.

     Pauline, que había escuchado con sorpresa esta extraña recitación, les preguntó a su padre y a su tía cómo habían podido aprenderse de memoria ese fragmento en prosa, y por qué lo recitaban como una letanía.

     El señor Bergeret respondió gravemente:

     – Pauline, lo que acabas de escuchar es un texto sagrado, puedo decir litúrgico, de uso en la familia Bergeret. Es necesario que te lo transmitamos para que no perezca con tu tía y conmigo. Tu abuelo, hija mía, tu abuelo Éloi Bergeret, que no se divertía con tonterías, estimaba este fragmento, principalmente por consideración a su origen. Lo tituló: La anatomía de Putois. Y tenía la costumbre de decir que prefería, en cierto modo, la anatomía de Putois a la anatomía de Quaresmeprenant. «Si la descripción hecha por Xénomanes, decía, es más sabia y más rica en temas raros y preciosos, la descripción de Putois le gana mucho por la claridad de las ideas y la limpidez del estilo.» Pensaba de este modo porque el doctor Ledouble, de Tours, aún no había explicado los capítulos treinta, treinta uno y treinta y dos del cuarto libro de Rabelais.

     – No comprendo nada en absoluto, dijo Pauline.

     – Es porque no conoces a Putois, hija mía. Es necesario que sepas que Putois fue la figura más familiar de mi infancia y de la de tu tía Zoé. En la casa de tu abuelo Bergeret se hablaba continuamente de Putois. Cada uno a su vez creía verlo.

     Pauline preguntó:

     – ¿Quién era ese Putois?

     En lugar de responder, el señor Bergeret se echó a reír, y la señorita Bergeret también rio, con los labios cerrados.

     Pauline llevaba su mirada de uno a otro. Encontraba extraño que su tía se riera de tan buena gana, y aún más extraño que se riera de acuerdo y en simpatía con su hermano. Era singular, en efecto, pues el hermano y la hermana no tenían el mismo carácter.

     – Papá, dime quién era Putois. Puesto que quieres que lo sepa, dímelo.

     – Putois, hija mía, era un jardinero. Hijo de honrados labradores de Artois, se estableció como hortelano en Saint-Omer. Pero no contentó a sus clientes e hizo malos negocios. Tras dejar su comercio, se hizo jornalero. Los que lo empleaban no siempre estaban satisfechos con él.

     Ante estas palabras, la señorita Bergeret, aún riendo:

     – ¿Te acuerdas, Lucien, de que, cuando nuestro padre no encontraba en su escritorio su tintero, sus plumas, su cera, sus tijeras, decía: «Sospecho que Putois ha pasado por aquí » ?

     – ¡Ah!, dijo el señor Bergeret, Putois no tenía buena reputación.

     – ¿Eso es todo?, preguntó Pauline.

     – No, hija mía, eso no es todo. Putois lo que tuvo de notable fue que él era conocido, familiar, y sin embargo…

     – … no existía, dijo Zoé.

     El señor Bergeret miró a su hermana con cara de reproche:

     – ¡Qué palabras, Zoé!, ¿por qué tienes que romper así el encanto? Putois no existía. ¿Te atreves a decirlo, Zoé? Zoé, ¿podrías defender eso? Para afirmar que Putois no existía en modo alguno, que Putois no fue nunca, ¿has considerado las condiciones de la existencia y los modos del ser? Putois existía, hermana mía. Pero es verdad que era de una existencia particular.

     – Comprendo cada vez menos, dijo Pauline desanimada.

     – La verdad se te aparecerá claramente en seguida, hija mía. Tienes que saber que Putois nació en la madurez de su edad. Yo era aún un niño, tu tía era ya una muchachita. Vivíamos en una casita a las afueras de Saint-Omer. Nuestros padres llevaban una vida tranquila y retirada, hasta que los conoció una vieja señora de esta ciudad, llamada la señora Cornouiller, que vivía en su casa solariega de Monplaisir, a cinco leguas de la ciudad, y que resultó ser una tía de mi madre. Usó un derecho de parentesco para exigirles a nuestro padre y a nuestra madre que fueran a cenar todos los domingos a Monplaisir, donde ellos se aburrían excesivamente.

     Ella decía que era honesto que se cenara en familia los domingos y que solo la gente mal nacida no respetaba esta antigua costumbre. Mi padre lloraba de aburrimiento en Monplaisir. Su desesperación rompía el alma. Pero la señora Cornouiller no lo veía. Ella no veía nada. Mi madre tenía más valor. Sufría tanto como mi padre, y quizás más, pero sonreía.

     – Las mujeres están hechas para sufrir, dijo Zoé.

     – Zoé, todo lo que vive en el mundo está destinado al sufrimiento. En vano rechazaban nuestros padres esas invitaciones. El coche de la señora Cornouiller venía a recogerlos cada domingo, por la tarde. Era necesario ir a Monplaisir; era una obligación a la que estaba prohibido sustraerse. Era una orden establecida, que solo la sublevación podía romper. Mi padre, al final, se sublevó, y juró que no aceptaría más ninguna invitación de la señora Cornouiller, dejándole a mi madre la tarea de encontrar, para esos rechazos, pretextos decentes y razones variadas, para lo que ella era la menos indicada. Nuestra madre no sabía fingir.

     – Lucien, di que ella no quería. Ella habría podido mentir como las demás.

     – Es verdad que cuando ella tenía buenas razones, las daba antes que inventar malas. ¿Te acuerdas, hermana, de que un día en la mesa dijo: «Felizmente, como Zoé tiene la tos ferina, no iremos durante mucho tiempo a Monplaisir»?

     – ¡Sin embargo, es verdad!, dijo Zoé.

     – Tú te curaste, Zoé. Y la señora Cornouiller vino a decirle un día a nuestra madre: «Preciosa, cuento con que vendrá a cenar con su marido este domingo a Monplaisir.» Nuestra madre, encargada expresamente por su marido de presentarle a la señora Cornouiller un motivo válido de rechazo, imaginó, en este extremo, una razón que no era verdadera. «Lo lamento vivamente, querida señora. Pero eso nos resultará imposible. Mañana espero al jardinero.»

     Ante estas palabras, la señora Cornouiller miró, por la ventana del salón, el jardincito salvaje, donde los evónimos y las lilas parecían desconocer por completo la podadera y tener que desconocerla siempre. «¡Espera al jardinero! ¿Por qué? – Para trabajar en el jardín.»

     Y mi madre, volviendo involuntariamente los ojos hacia ese cuadrado de hierbas locas y de plantas medio salvajes que ella acababa de llamar jardín, reconoció con espanto la inverosimilitud de su invento. «Este hombre, dijo la señora Cornouiller podrá venir a trabajar a su… jardín el lunes o el martes. Por lo demás, será mejor. No se debe trabajar el domingo. – Está ocupado durante la semana.»

     He observado a menudo que las razones más absurdas y más descabelladas son las menos discutidas: desconciertan al adversario. La señora Cornouiller insistió menos de lo que podía esperarse de una persona tan poco dispuesta como ella a dar su brazo a torcer. Levantándose de su sillón, preguntó: «¿Cómo se llama, preciosa, su jardinero? – Putois», respondió mi madre sin dudar.

     Putois ya estaba nombrado. Desde entonces existió. La señora Cornouiller se fue gruñendo: «¡Putois! Me parece que lo conozco. ¿Putois? ¡Putois! Lo conozco muy bien. Pero no me acuerdo… ¿Dónde vive? – Trabaja como jornalero. Cuando se le necesita, se da el aviso en casa de uno o de otro. – ¡Ah!, ya lo sabía, un holgazán y un vagabundo… un don nadie. Desconfíe de él, preciosa.»

      Putois tenía desde entonces un carácter.

     En esto llegaron los señores Goubin y Jean Marteau, y el señor Bergeret los puso al corriente de la conversación:

     – Hablábamos del que un día mi madre hizo que naciera jardinero en Saint-Omer y llamó por su nombre. Desde entonces él actuó.

     – Querido maestro, ¿podría repetirlo?, dijo el señor Goubin limpiando el cristal de sus quevedos.

     – Por supuesto, respondió el señor Bergeret. No había jardinero. El jardinero no existía. Pero mi madre dijo: «Espero al jardinero.» E inmediatamente el jardinero fue. Y actuó.

     – Querido maestro, preguntó el señor Goubin, ¿cómo actuó, si no existía?

     – Tenía un tipo de existencia, respondió el señor Bergeret.

     – Quiere decir una existencia imaginaria, replicó con desdén el señor Goubin.

     – ¿Acaso no es nada una existencia imaginaria?, exclamó el maestro. ¿Y los personajes míticos no son acaso capaces de actuar sobre los hombres? Reflexione sobre la mitología, señor Goubin, y se dará cuenta que estos son, no precisamente seres reales, sino seres imaginarios que ejercen en las almas la acción más profunda y más duradera. En todas partes y siempre unos seres que no tienen más realidad que Putois han inspirado en los pueblos odio y amor, terror y esperanza, han aconsejado crímenes, han recibido ofrendas, han hecho costumbres y leyes. Señor Goubin, reflexione sobre la eterna mitología. Putois es un personaje mítico, de los más oscuros, estoy de acuerdo, y de la más baja especie. El grosero sátiro, sentado a la mesa de nuestros campesinos del norte, fue considerado digno de aparecer en un cuadro de Jordaëns y en una fábula de La Fontaine. El hijo velludo de Sycorax entró en el mundo sublime de Shakespeare. Putois, menos afortunado, será siempre despreciado por los artistas y los poetas. Le falta la grandeza y la extrañeza, el estilo y el carácter. Nació en mentes muy razonables, entre gente que sabía leer y escribir y no tenía en modo alguno esta imaginación encantadora que siembra las fábulas. Pienso, señores, que he hablado bastante para haceros conocer la verdadera naturaleza de Putois.

     – La entiendo, dijo el señor Goubin.

     Y el señor Bergeret prosiguió su discurso:

     – Putois era. Puedo afirmarlo. Era. Considérenlo, señores, y se convencerán de que ser no implica en modo alguno una sustancia y no significa más que el lazo del atributo con el sujeto, no expresa más que una relación.

     – Sin duda, dijo Jean Marteau, pero ser sin atributo es ser tan poco como nada. No sé quién dijo en tiempos pasados: «Soy quien soy.» Perdonen mi falta de memoria. Uno no puede acordarse de todo. Pero el desconocido que habló de tal modo cometió una rara imprudencia. Dando a entender con esa proposición desconsiderada que él estaba desprovisto de atributos y privado de todas las relaciones, proclamó que no existía y se suprimió aturdidamente. Apuesto que no se ha vuelto a oír hablar de él.

     – Usted ha perdido, replicó el señor Bergeret. Él ha corregido el mal efecto de esta palabra egoísta aplicándose una sopa de adjetivos, y se ha hablado mucho de él, la mayor parte de las veces sin ningún buen sentido.

     – No comprendo, dijo el señor Goubin.

     – No es necesario comprender, respondió Jean Marteau.

     Y le rogó al señor Bergeret que hablara de Putois.

     – Es muy amable pidiéndomelo, dijo el maestro.

     Putois nació en la segunda mitad del siglo XIX, en Saint-Omer. Le hubiera valido más nacer algunos siglos antes en el bosque de las Ardennes o en el bosque de Brocéliande. Habría sido entonces un mal espíritu de un ingenio maravilloso.

     – ¿Una taza de té, señor Goubin?, dijo Pauline.

     – ¿Entonces Putois era un mal espíritu?, preguntó Jean Marteau.

     – Era malo, respondió el señor Bergeret, lo era en cierto modo, pero no lo era en modo absoluto. Lo era como lo son ciertos diablos de los que se dice que son muy malvados, pero en los que se descubren buenas cualidades cuando se les conoce. Y yo estaría dispuesto a creer que se ha tratado mal a Putois. La señora Cornouiller, que, prevenida contra él, había sospechado en seguida que era un holgazán, un borracho y un ladrón, pensó que, puesto que mi madre, que no era rica, lo había empleado era porque él se contentaba con poco. Y ella se preguntó si no saldría ganando si lo hacía trabajar en lugar de su jardinero, quien tenía mejor renombre, pero también más exigencias. Comenzaba la campaña de los tejos. Pensó que si la señora Éloi Bergeret, que era pobre, no le daba gran cosa a Putois, ella misma, que era rica, le daría aún menos, puesto que el uso es que los ricos paguen menos que los pobres. Y ella ya veía sus tejos cortados en murallas, en bolas y en pirámides, sin haber hecho un gran gasto. «Vigilaré, se dijo, para que Putois no pierda el tiempo y no me robe. No arriesgo nada y todo será una ventaja. Estos vagabundos trabajan a veces con más maña que los obreros honestos.» Decidió probar, y le dijo a mi madre: «Preciosa, envíeme a Putois. Lo haré trabajar en Monplaisir.» Mi madre se lo prometió. Lo hubiera hecho con mucho gusto. Pero verdaderamente eso no era posible. La señora Cornouiller esperó a Putois en Monplaisir, y lo esperó en vano. Ella sabía mantener sus ideas y ser constante en sus proyectos. Cuando volvió a ver a mi madre, se lamentó de no tener noticias de Putois «Preciosa, ¿no le ha dicho que yo lo esperaba? -¡Sí!, pero él es tan extraño, tan raro… – ¡Oh!, conozco a esos tipos. Conozco de memoria a tu Putois. Pero no hay obrero tan lunático como para negarse a ir a trabajar a Monplaisir. Mi casa es conocida, creo. Putois se pondrá a mis órdenes, y rápidamente, preciosa. Dígame solo dónde vive; yo misma iré a buscarlo.» Mi madre respondió que no sabía dónde vivía Putois, que no se conocía su domicilio, que no tenía casa. «No he vuelto a verlo, señora. Creo que se esconde.» ¿Podía decir ella algo mejor?

     La señora Cornouiller, sin embargo, no la escuchó sin desconfianza; sospechó que cercaba a Putois, que lo sustraía a la búsqueda, con el temor de perderlo o de hacerlo más exigente. La consideró verdaderamente demasiado egoísta. Muchos juicios aceptados por todo el mundo, y que la historia ha consagrado, están tan bien fundados como este.

     – Sin embargo, es verdad, dijo Pauline.

     – ¿Qué es verdad?, preguntó Zoé, medio dormida.

     – Que los juicios de la historia son a menudo falsos. Me acuerdo, papá, de que un día dijiste : «La señora Roland era muy cándida apelando a la imparcial posteridad y no dándose cuenta de que, si sus contemporáneos eran malos monos, su posteridad también estaría compuesta por malos monos.»

     – Pauline, preguntó con severidad la señorita Zoé, ¿qué relación hay entre la historia de Putois y la que nos cuentas?

     – Mucha, tía.

     – No lo cojo.

     El señor Bergeret, que no era enemigo de las digresiones, le respondió a su hija:

     – Si todas las injusticias se repararan finalmente en este mundo, nunca se habría imaginado otro para esas reparaciones. ¿Cómo queréis que la posteridad juzgue con equidad a todos los muertos? ¿Cómo se les interroga en la sombra a la que ellos huyen? Cuando se puede ser justo con ellos, se les olvida. Pero ¿acaso se puede ser justo alguna vez? ¿Y qué es la justicia? La señora Cornouiller, al menos, se vio obligaba a reconocer, a la larga, que mi madre no la engañaba, y que Putois estaba en paradero desconocido.

     Sin embargo, no renunció a encontrarlo. Les preguntó a todos sus parientes, amigos, vecinos, criados, proveedores, si conocían a Putois. Solo dos o tres respondieron que nunca habían oído hablar de él. La mayor parte creía haberlo visto. «He escuchado ese nombre, dijo la cocinera, pero no logro ponerle una cara. – ¡Putois! Claro que lo conozco, dijo el peón caminero rascándose la oreja. Pero no podría decirle quién es.» Las informaciones más precisas le llegaron gracias al señor Blaise, jefe del registro, quien declaró que había contratado a Putois para cortar leña en su patio, del 19 al 23 de octubre, el año del Cometa.

     Una mañana la señora Cornouiller cayó jadeando en el estudio de mi padre: – Acabo de ver a Putois. – ¡Ah!

     – Lo he visto. – ¿Lo cree así? – Estoy segura de ello. Pasaba rozando la pared del señor Tenchant. Luego ha vuelto por la calle de las Abbesses, caminaba deprisa. Lo he perdido. – ¿Seguro que era él? – Sin duda alguna. Un hombre de unos cincuenta años, delgado, encorvado, con el aire de un vagabundo, con una blusa sucia. – Es verdad, dijo mi padre, que esas características pueden aplicársele a Putois. – ¡Ya ve que es así! Por lo demás, lo he llamado. He gritado: «¡Putois!», y se ha girado. – Ese es el medio, dijo mi padre, que los agentes de Seguridad emplean para asegurarse de la identidad de los malhechores que buscan. – ¡Cuando yo le decía que era él!… He sabido encontrar a su Putois. Pues bien, es un hombre de mal aspecto. Ustedes han sido imprudentes, usted y su mujer, al emplearlo en su casa. Entiendo de fisonomías y, aunque solo lo he visto de espalda, juraría que es un ladrón, y quizás un asesino. Sus orejas no están ribeteadas, y eso es una señal que no engaña. – ¡Ah!, ¿usted se ha dado cuenta de que sus orejas no estaban ribeteadas? – No se me escapa nada. Mi querido señor Bergeret, si usted no quiere ser asesinado con su mujer y sus hijos, no deje entrar nunca más a ese Putois en su casa. Un consejo: haga que cambien todas las cerraduras.

     Pues bien, unos días después de eso, sucedió que le robaron a la señora Cornouiller tres melones de su huerto. Como no se pudo encontrar al ladrón, ella sospechó de Putois. Llamaron a Monplaisir a los guardias civiles, y las indagaciones de estos confirmaron las sospechas de la señora Cornouiller. Bandas de saqueadores asolaban entonces los jardines de la región. Pero esta vez el robo parecía haber sido cometido por una sola persona, y con un ingenio particular. Ningún rastro de forzamiento, ni huellas de zapatos en la tierra húmeda. El ladrón no podía ser más que Putois. Era la opinión del cabo, que conocía bien a Putois y se declaraba capaz de ponerle la mano encima a ese pájaro.

     El periódico de Saint-Omer dedicó un artículo a los tres melones de la señora Cornouiller y publicó, siguiendo las informaciones proporcionadas en la ciudad, un retrato de Putois. «Tiene, decía el periódico, la frente baja, los ojos de colores diferentes, la mirada huidiza, patas de gallo en las sienes, los pómulos agudos, rojos y brillantes. Sus orejas no están ribeteadas. Delgado, un poco encorvado, débil en apariencia, es en realidad de una fuerza poco común; dobla fácilmente una moneda de cien céntimos entre el índice y el pulgar.

     Se tienen buenas razones, afirmaba el periódico, para atribuirle una larga serie de robos realizados con una habilidad sorprendente.

     Toda la ciudad se interesó por Putois. Se supo un día que había sido detenido y encarcelado. Pero se reconoció pronto que el hombre que habían atrapado en su lugar era un comerciante de almanaques llamado Rigobert.

     Como no se pudo señalar ningún cargo contra este, se le liberó tras catorce meses de detención preventiva. Y Putois permanecía en paradero desconocido. La señora Cornouiller fue víctima de un nuevo robo, más audaz que el primero. Cogieron de su aparador tres cucharillas de plata.

     Ella reconoció la mano de Putois, hizo que pusieran una cadena en la puerta de su habitación y ya no durmió más.

     Hacia las diez de la noche, cuando ya Pauline se había ido a su habitación, la señorita Bergeret le dijo a su hermano:

     – No olvides contar cómo sedujo Putois a la cocinera de la señorita Cornouiller.

     – Estaba pensando en ello, hermana, respondió el señor Bergeret. Omitirla sería perder la historia más hermosa. Pero todo tiene que hacerse con orden. Putois fue cuidadosamente buscado por la justicia, pero no se le encontró. Cuando se supo que estaba en paradero desconocido, cada uno puso su amor propio para encontrarlo; los astutos lo lograron. Y como había muchos astutos en Saint-Omer y en sus alrededores, Putois fue visto al mismo tiempo en las calles, en los campos y en los bosques. Otro rasgo se añadió así a su carácter. Se le concedió ese don de la ubicuidad que poseen tantos héroes populares. Un ser capaz de salvar en un momento largas distancias, y que se muestra de pronto en el lugar donde menos se le esperaba, asusta con razón. Putois fue el terror de Saint-Omer. La señora Cornouiller, persuadida de que Putois le había robado tres melones y tres cucharillas, vivía en el espanto, encerrada en Monplaisir. Los cerrojos, las cancelas y las cerraduras no la tranquilizaban. Putois era para ella un ser espantosamente sutil, que pasaba a través de las puertas. Un suceso doméstico redobló su espanto. Su cocinera fue seducida y llegó un momento en que no pudo esconder su falta.

     Pero ella se negó obstinadamente a dar el nombre de su seductor.

     – Ella se llamaba Gudule, dijo la señorita Zoé.

     – Ella se llamaba Gudule y se le creía protegida contra los peligros del amor por la barba que le cubría el mentón, larga y bifurcada. Una barba repentina protegió la virginidad de la santa hija del rey al que Praga venera. Una barba que ya no era adolescente no bastó para defender la virtud de Gudule. La señora Cornouiller presionó a Gudule para que diera el nombre de quien, tras abusar de ella, la dejaba en seguida en un aprieto. Gudule se fundía en lágrimas y guardaba silencio. Los ruegos, las amenazas no dieron ningún resultado. La señora Cornouiller hizo una larga y minuciosa pesquisa. Interrogó con destreza a sus vecinos, vecinas y proveedores, al jardinero, al peón caminero, a los guardias civiles; nada la puso en la huella del culpable. Intentó de nuevo obtener de Gudule una confesión completa. «Por su interés, Gudule, dígame quién es.» Gudule permanecía muda. De pronto un rayo de luz atravesó la mente de la señora Cornouiller. «¡Es Putois!» La cocinera lloró y no respondió.

     «¡Es Putois! ¿Cómo no lo he adivinado antes? ¡Es Putois! ¡Desgraciada!, ¡desgraciada!, ¡desgraciada!»

      Y la señora Cornouiller se quedó persuadida de que Putois le había hecho un hijo a su cocinera. Todo el mundo en Saint-Omer, desde el presidente del Tribunal hasta el gozque del sereno, conocía a Gudule y su xxx. La noticia de que Putois había seducido a Gudule llenó la ciudad de sorpresa, de admiración y de alegría. Putois fue celebrado como un gran tirador de bolos y como el enamorado de las once mil vírgenes. Se le atribuyó, por ligeros indicios, la paternidad de otros cinco o seis niños que vinieron al mundo ese año, y que hubieran hecho mejor no viniendo, por el placer que les esperaba allí y por la alegría que les causaron a sus madres. Se señaló, entre otras, a la criada del señor Maréchal, tabernero del Au Rendez-Vous des Pêcheurs, a una repartidora de pan y a la pequeña jorobada de Pont-Biquet, quienes, por haber escuchado a Putois, se habían encontrado con un niño. «¡Un monstruo!», exclamaban las comadres.

     Y Putois, invisible sátiro, amenazaba con accidentes irreparables a todas las jóvenes de una ciudad en la que, decían las viejas, las muchachas, desde tiempo inmemorial, habían sido siempre tranquilas.

     Esparcido así por la ciudad y sus alrededores, permanecía ligado a nuestra casa por mil lazos sutiles. Pasaba por delante de nuestra puerta y se creía que a veces escalaba el muro de nuestro jardín. Nunca se le veía de frente.

     Pero en todo momento reconocíamos su sombra, su voz, las huellas de sus pasos. Más de una vez creímos ver su espalda en el crepúsculo, volviendo una calle. Con mi hermana y conmigo, cambiaba un poco de carácter. Permanecía malo y malhechor, pero se volvía pueril y muy cándido. Se hacía menos real y, me atrevo a decirlo, más poético. Entraba en el ciclo ingenuo de las tradiciones infantiles. Se acercaba al tío camuñas, al tío del látigo y al tío del carbón que les cierra por la noche los ojos a los niños. No era el duende que, por la noche, en el establo, les lía la cola a los potros. Menos rústico y menos encantador, pero igualmente travieso con candor, les dibujaba con tinta bigotes a las muñecas de mi hermana. En nuestra cama, antes de dormirnos, lo escuchábamos: lloraba en los tejados con los gatos, ladraba con los perros, llenaba de gemidos los graneros e imitaba en la calle los cantos de los borrachos rezagados.

      Lo que nos hacía a Putois presente y familiar, lo que nos interesaba de él, es que su recuerdo estaba asociado a todos los objetos que nos rodeaban. Las muñecas de Zoé, mis cuadernos de la escuela, cuyas páginas él revolvía y pintarrajeaba tantas veces, el muro del jardín por encima del cual habíamos visto brillar sus ojos rojos en la sombra, la maceta de porcelana azul que una noche de invierno él había roto, a menos que no hubiera sido la helada; los árboles, las calles, los bancos, todo nos recordaba a Putois, a nuestro Putois, al Putois de los niños, un ser local y mítico. Él no igualaba en gracia y en poesía al más pesado Egipán, el fauno más grueso de Sicilia o de Tesalia. Pero también él era un semidiós.

      Para nuestro padre, tenía un carácter completamente diferente: era emblemático y filosófico. Nuestro padre sentía una gran piedad por los hombres. No los creía muy razonables; sus errores, cuando no eran crueles, lo divertían y le hacían sonreír. La creencia en Putois le interesaba como un resumen y un compendio de todas las creencias humanas. Como era irónico y burlón, hablaba de Putois como de un ser real. Insistía tanto a veces, y señalaba las circunstancias con tal exactitud, que mi madre estaba por completo sorprendida y le decía con candor: «Se diría que estás hablando en serio, amigo mío; sin embargo, tú bien sabes…»

     Él respondía con gravedad: «Toda Saint-Omer cree en la existencia de Putois. ¿Sería yo un buen ciudadano si la negara? Hay que reflexionar mucho antes de suprimir un artículo de la fe común.»

     Solo un espíritu perfectamente honesto tiene semejantes escrúpulos. En el fondo, mi padre era gasendista. Armonizaba su sentimiento particular con el sentimiento público, creyendo, como la gente de Sain-Omer, en la existencia de Putois, pero sin admitir su intervención directa en el robo de los melones y en la seducción de las cocineras.

     En fin, profesaba su creencia en la existencia de un Putois, para ser un buen conciudadano; y prescindía de Putois para explicar los sucesos que se cumplían en la ciudad. De manera que en esta circunstancia, como en cualquier otra, fue un hombre galante y un gran ingenio.

     En cuanto a nuestra madre, ella se reprochaba un poco el nacimiento de Putois, y no sin razón. Pues, en fin, Putois había nacido de una mentira de nuestra madre, como Calibán de la mentira del poeta. Sin duda, los fallos no eran iguales, y mi madre era más inocente que Shakespeare. Sin embargo, ella estaba espantada y confusa al ver que una mentira suya tan pequeña había crecido desmesuradamente, y que su ligera impostura obtenía un gran aplauso, que no se detenía, que se extendía por por toda la ciudad y amenazaba extenderse por el mundo. Un día incluso palideció, creyendo que iba a ver su propia mentira surgir delante de ella misma. Ese día, una criada que ella tenía, nueva en casa y en la región, vino a decirle que un hombre rogaba verla. Necesitaba, decía él, hablarle a la señora. «¿Qué hombre es ese? – Un hombre en mangas de camisa. Parece un obrero del campo. – ¿Ha dicho su nombre? – Sí, señora. – Pues bien, ¿cómo se llama? – Putois. – ¿Le ha dicho que se llamaba?… – Putois, sí, señora. – ¿Está aquí?… – Sí, señora. Espera en la cocina. – ¿Lo ha visto? – Sí, señora. – ¿Qué quiere? – No me lo ha dicho. Solo quiere decírselo a la señora. – Vaya a preguntarle.»

      Cuando la criada volvió a la cocina, Putois ya no estaba. Este encuentro entre la criada extranjera y Putois no fue nunca esclarecido. Pero creo que a partir de ese día mi madre comenzó a creer que Putois bien podía existir, y que ella bien podía no haber mentido.»

RIQUET

     Le terme étant venu, M. Bergeret quittait avec sa sœur et sa fille la vieille maison ruinée de la rue de Seine pour s’aménager dans un moderne appartement de la rue de Vaugirard. Ainsi en avaient décidé Zoé et les destins. Durant les longues heures du déménagement, Riquet errait tristement dans l’appartement dévasté. Ses plus chères habitudes étaient contrariées. Des hommes inconnus, mal vêtus, injurieux et farouches troublaient son repos et venaient jusque dans la cuisine fouler aux pieds son assiette à pâtée et son bol d’eau fraîche. Les chaises lui étaient enlevées à mesure qu’il s’y couchait et les tapis tirés brusquement de dessous son pauvre derrière, qui, dans sa propre maison, ne savait plus où se mettre.

     Disons à son honneur qu’il avait d’abord tenté de résister. Lors de l’enlèvement de la fontaine, il avait aboyé furieusement à l’ennemi. Mais à son appel personne n’était venu. Il ne se sentait point encouragé, et même, à n’en point douter, il était combattu. Mademoiselle Zoé lui avait dit sèchement : «Tais-toi donc!» Et mademoiselle Pauline avait ajouté: «Riquet, tu es ridicule!»

     Renonçant désormais à donner des avertissements inutiles et à lutter seul pour le bien commun, il déplorait en silence les ruines de la maison et cherchait vainement de chambre en chambre un peu de tranquillité. Quand les déménageurs pénétraient dans la pièce où il s’était réfugié, il se cachait par prudence sous une table ou sous une commode qui demeuraient encore. Mais cette précaution lui était plus nuisible qu’utile, car bientôt le meuble s’ébranlait sur lui, se soulevait, retombait en grondant et menaçait de l’écraser. Il fuyait, hagard et le poil rebroussé, et gagnait un autre abri, qui n’était pas plus sûr que le premier.

     Et ces incommodités, ces périls même, étaient peu de chose auprès des peines qu’endurait son cœur. En lui, c’est le moral, comme on dit, qui était le plus affecté.

     Les meubles de l’appartement lui représentaient, non des choses inertes, mais des êtres animés et bienveillants, des génies favorables, dont le départ présageait de cruels malheurs. Plats, sucriers, poêlons et casseroles, toutes les divinités de la cuisine; fauteuils, tapis, coussins, tous les fétiches du foyer, ses lares et ses dieux domestiques, s’en étaient allés. Il ne croyait pas qu’un si grand désastre pût jamais être réparé. Et il en recevait autant de chagrin qu’en pouvait contenir sa petite âme. Heureusement que, semblable à l’âme humaine, elle était facile à distraire et prompte à l’oubli des maux.

     Durant les longues absences des déménageurs altérés, quand le balai de la vieille Angélique soulevait l’antique poussière du parquet, Riquet respirait une odeur de souris, épiait la fuite d’une araignée, et sa pensée légère en était divertie. Mais il retombait bientôt dans la tristesse.

     Le jour du départ, voyant les choses empirer d’heure en heure, il se désola. Il lui parut spécialement funeste qu’on empilât le linge dans de sombres caisses. Pauline, avec un empressement joyeux, mettait ses robes dans une malle. Il se détourna d’elle, comme si elle accomplissait une œuvre mauvaise. Et, rencogné au mur, il pensait: «Voilà le pire! C’est la fin de tout.» Et, soit qu’il crût que les choses n’étaient plus quand il ne les voyait plus, soit qu’il évitât seulement un pénible spectacle, il prit soin de ne pas regarder du côté de Pauline. Le hasard voulut qu’en allant et venant, elle remarquât l’attitude de Riquet. Cette attitude était triste. Elle la trouva comique et se mit à rire. Et, en riant, elle l’appela: «Viens! Riquet, viens!» Mais il ne bougea pas de son coin et ne tourna pas la tête. Il n’avait pas en ce moment le cœur à caresser sa jeune maîtresse et, par un secret instinct, par une sorte de pressentiment, il craignait d’approcher de la malle béante. Elle l’appela plusieurs fois. Et, comme il ne répondait pas, elle l’alla prendre et le souleva dans ses bras. «Qu’on est donc malheureux! lui dit-elle; qu’on est donc à plaindre!» Son ton était ironique. Riquet ne comprenait pas l’ironie. Il restait dans les bras de Pauline inerte et morne, et il affectait de ne rien voir et de ne rien entendre. «Riquet, regarde-moi!» Elle fit trois fois cette objurgation et la fit trois fois en vain. Après quoi, simulant une violente colère: «Stupide animal, disparais», et elle le jeta dans la malle, dont elle renversa le couvercle sur lui. À ce moment sa tante l’ayant appelée, elle sortit de la chambre, laissant Riquet dans la malle.

     Il y éprouvait une vive inquiétude. Il était à mille lieues de supposer qu’il avait été mis dans cette malle par simple jeu et par badinage. Estimant que sa situation était déjà assez fâcheuse, il s’efforça de ne point l’aggraver par son imprudence. Et il resta quelques instants immobile, sans souffler. Puis il jugea utile d’explorer sa prison ténébreuse. Il tâta avec ses pattes les japons et les chemises sur lesquels il avait été si misérablement précipité, et il chercha quelque issue pour sortir de ce lieu redoutable. Il s’y appliquait depuis deux ou trois minutes quand M. Bergeret, qui s’apprêtait à sortir, l’appela:

     — Viens, Riquet, viens. Nous allons nous promener sur les quais. C’est le vrai pays de gloire. On y a bâti une gare d’une difformité supérieure et d’une laideur éclatante. L’architecture est un art perdu. On démolit la maison qui faisait l’angle de la rue du Bac et qui avait bon air. On la remplacera sans doute par quelque vilaine bâtisse. Puissent du moins nos architectes ne pas introduire sur le quai d’Orsay le style barbare dont ils ont donné, à l’angle de la rue Washington, sur l’avenue des Champs-Élysées, un épouvantable exemple!… Viens, Riquet!… Nous allons nous promener sur les quais. C’est le vrai pays de gloire. Mais l’architecture est bien déchue depuis les temps de Gabriel et de Louis… Où est le chien?… Riquet! Riquet!…

     La voix de M. Bergeret apporta à Riquet un grand réconfort. Il y répondait par le bruit de ses pattes qui, dans la malle, grattaient éperdument la paroi d’osier.

     — Où est le chien? demanda M. Bergeret à Pauline qui revenait portant une pile de linge.

     — Papa, il est dans la malle.

     — Comment est-il dans la malle, et pourquoi y est-il? demanda M. Bergeret.

     — Parce qu’il était stupide, répondit Pauline.

     M. Bergeret délivra son ami. Riquet le suivit jusqu’à l’antichambre en agitant la queue. Puis une pensée traversa son esprit. Il rentra dans l’appartement, courut vers Pauline, se dressa contre les jupes de la jeune fille. Et ce n’est qu’après les avoir embrassées tumultueusement en signe d’adoration qu’il rejoignit son maître dans l’escalier. Il aurait cru manquer de sagesse et de religion en ne donnant pas ces marques d’amour à une personne dont la puissance l’avait plongé dans une malle profonde.

     Dans la rue, M. Bergeret et son chien eurent le spectacle lamentable de leurs meubles domestiques étalés sur le trottoir. Pendant que les déménageurs étaient allés boire chez le mastroquet du coin, l’armoire à glace de mademoiselle Zoé reflétait la file des passants, ouvriers, élèves des Beaux-Arts,filles, marchands, et les haquets, les fiacres et les tapissières, et la boutique du pharmacien avec ses bocaux et les serpents d’Esculape. Accoté à une borne, M. Bergeret père souriait dans son cadre, avec un air de douceur et de finesse pâle et les cheveux en coup de vent. M. Bergeret considéra son père avec un respect affectueux et le retira du coin de la borne. Il rangea aussi à l’abri des offenses le petit guéridon de Zoé, qui semblait honteux de se trouver dans la rue.

     Cependant, Riquet frotta de ses pattes les jambes de son maître, leva sur lui ses beaux yeux affligés, et son regard disait:

     «Toi naguère si riche et si puissant, est-ce que tu serais devenu pauvre? Est-ce que tu serais devenu faible, ô mon maître? Tu laisses des hommes couverts de haillons vils envahir ton salon, ta chambre à coucher, ta salle à manger, se ruer sur tes meubles et les traîner dehors, traîner dans l’escalier ton fauteuil profond, ton fauteuil et le mien, le fauteuil où nous reposions tous les soirs, et bien souvent le matin, à côté l’un de l’autre. Je l’ai entendu gémir dans les bras des hommes mal vêtus, ce fauteuil qui est un grand fétiche et un esprit bienveillant. Tu ne t’es pas opposé à ces envahisseurs. Si tu n’as plus aucun des génies qui remplissaient ta demeure, si tu as perdu jusqu’à ces petites divinités que tu chaussais, le matin, au sortir du lit, ces pantoufles que je mordillais en jouant, si tu es indigent et misérable, ô mon maître, que deviendrai-je?»

RIQUET

      Llegado el final del contrato, M. Bergeret abandonaba, con su hermana y su hija, la vieja casa arruinada de la calle Seine para instalarse en un moderno apartamento de la calle Vaugirard. Así lo habían decidido Zoé y los destinos. Durante las largas horas de la mudanza, Riquet erraba tristemente por el apartamento devastado. Sus más queridas costumbres eran contrariadas. Hombres desconocidos, mal vestidos, injuriosos y desagradables turbaban su reposo y venían hasta la cocina a pisar con los pies el plato de su comida y su bol de agua fresca. Las sillas se las quitaban a medida que él se echaba en ellas y las alfombras las sacaban bruscamente de debajo de su pobre trasero, que, en su propia casa, no sabía ya dónde ponerse.

     Digamos en su honor que él en principio había intentado resistir. Desde que quitaron el lavabo, él le había ladrado furiosamente al enemigo. Pero a su llamada nadie había acudido. No se sentía animado, e incluso, sin duda alguna, estaba atormentado. La señorita Zoé le había dicho con sequedad: “¡Cállate, vamos!” Y la señorita Pauline había añadido: “¡Riquet, eres ridículo!”

     Renunciando ya a dar advertencias inútiles y a luchar solo por el bien común, deploraba en silencio las ruinas de la casa y buscaba vanamente de habitación en habitación un poco de tranquilidad. Cuando los mozos de la mudanza penetraban en la pieza donde él se había refugiado, se escondía por prudencia bajo una mesa o bajo una cómoda que permanecía allí todavía. Pero esta precaución le era más perjudicial que útil, pues pronto el mueble se estremecía sobre él, se elevaba, volvía a caer rugiendo y amenazaba con aplastarlo. Huía, azorado y con el pelo de punta, y alcanzaba otro abrigo, que no era más seguro que el primero.

     Y estas incomodidades, incluso estos peligros, eran poca cosa después de las penas que soportaba su corazón. En él, era la moral, como se dice, la que estaba más afectada.

     Los muebles del apartamento no representaban para él cosas inertes, sino seres animados y benevolentes, genios favorables cuya marcha presagiaba crueles desgracias. Platos, azucareros, sartenes y cacerolas, todas las divinidades de la cocina; sillones, alfombras, cojines, todos los fetiches del hogar, sus lares y sus dioses domésticos, se habían ido. No creía que un desastre tan grande pudiera nunca ser reparado. Recibía de ello tanta pena como podía contener su pequeña alma. Felizmente, al igual que el alma humana, ella era fácil de distraer y pronta al olvido de los males.

     Durante las largas ausencias de los mozos alterados, cuando la escoba de la vieja Angélique levantaba el antiguo polvo del parquet, Riquet respiraba un olor a ratones, espiaba la huida de una araña, y su pensamiento ligero se divertía. Pero volvía a caer pronto en la tristeza.

      El día de la partida, viendo las cosas empeorar de hora en hora, se quedó desolado. Le pareció especialmente funesto que se apilase la lencería en oscuras cajas. Pauline, con un apremio alegre, ponía sus ropas en un baúl. Se alejó de ella, como si esta realizara una mala obra. Y, pegado a la pared, pensaba: “¡He aquí lo peor! Es el final de todo.” Y, sea que él creyera que las cosas no estaban ya, si no las veía, sea que evitara solo un penoso espectáculo, tomó cuidado de no mirar hacia el lado de Pauline. La casualidad quiso que yendo y viniendo, ella se percatara de la actitud de Riquet. Esta actitud era triste. Ella la encontró cómica y se echó a reír. Y riendo, lo llamó: “¡Ven! ¡Riquet, ven!” Pero él no se movió de su rincón ni volvió la cabeza. No abrigaba en su corazón la intención de acariciar a su joven dueña y, por un secreto instinto, por una especie de presentimiento, temía acercarse al baúl completamente abierto. Ella lo llamó muchas veces. Y como no respondía, fue a cogerlo y lo levantó en sus brazos. “¡Estás, pues, triste!, le dijo ella, ¿de qué te lamentas?” su tono era irónico. Riquet no comprendía la ironía. Permanecía en los brazos de Pauline inerte y melancólico, y fingía que no veía ni escuchaba nada. “¡Riquet, mírame!”  Ella se lo rogó tres veces, y las tres veces fue en vano. Después de ello, simulando una violenta cólera: “Estúpido animal, desaparece”, y lo arrojó en el baúl y cerró la tapa sobre él. En ese momento, dado que la había llamado su tía, salió de la habitación, dejando a Riquet en el baúl.

     Él sintió una viva inquietud. Estaba a miles de leguas de suponer que había sido colocado en este baúl por simple juego y de broma. Estimando que su situación era ya bastante enojosa, se esforzó por no agravarla con su imprudencia. Se quedó inmóvil unos instantes, sin respirar. Luego juzgó útil explorar su prisión tenebrosa. Tanteó con sus patas las enaguas y las camisas sobre las que lo habían miserablemente precipitado, y buscó algún lugar para salir de ese lugar temible. Se aplicaba a ello desde hacía dos o tres minutos, cuando M. Bergeret, que se disponía a salir, lo llamó:

     – Ven, Riquet, ven. Vamos a pasearnos por los muelles. Es el verdadero país de la gloria. Han construido una estación de una deformidad superior y de una fealdad resplandeciente. La arquitectura es un arte perdida. Se demuele la casa que hacía esquina de la calle de Bac y que tenía buen aspecto. Se la sustituirá, sin duda, por una vulgar construcción. ¡Ojalá nuestros arquitectos no puedan, al menos, introducir en el muelle d´Orsay el estilo bárbaro del que han dado, en la esquina de la calle Washington, en la avenida de los Campos Elíseos, un espantoso ejemplo!… ¡Ven, Riquet!… Vamos a pasearnos por los muelles. Es el verdadero país de la gloria. Pero la arquitectura ha decaído mucho desde los tiempos de Gabriel y de Louis… ¿Dónde está el perro?… ¡Riquet! ¡Riquet!

     La voz de M. Bergeret le llevó a Riquet un gran consuelo. Respondía con el ruido de sus patas que, en el baúl, rascaban con furia la pared de mimbre.

     – ¿Dónde está el perro?, preguntó M. Bergeret a Pauline que volvía trayendo una pila de lencería.

     – Papá, está en el baúl.

     – ¿Cómo es que está en lel baúl?, ¿por qué está ahí?, preguntó M. Bergeret.

     – Porque era estúpido, respondió Pauline.

     Bergeret liberó a su amigo. Riquet lo siguió hastala antesala moviendo la cola. Luego un pensamiento atravesó su espíritu. Volvió al apartamento, corrió hacia Pauline, se levantó contra las faldas de la joven. Y solo después de haberlas abrazado tumultuosamente en señal de adoración, alcanzó a su dueño en la escalera. Habría pensado que le faltaba sabiduría y religión si no le daba esas manifestaciones de amor a una persona cuyo poder lo había sumergido en un baúl profundo.

     En la calle, M. Bergeret y su perro tuvieron el espectáculo lamentable de sus muebles domésticos extendidos por la acera. Mientras los mozos habían ido a beber a una tasca de la esquina, el armario de espejo de la señorita Zoé reflejaba la fila de transeúntes, obreros, alumnos de Bellas Artes, vendedores, y carretas, coches de alquiler y carromatos, y la botica del farmacéutico con sus botes y las serpientes de Esculapio. Apoyado en un poste, M. Bergeret padre le sonreía desde su cuadro, con aire de dulzura y de finura pálida y los cabellos al viento. M. Bergeret consideró a su padre con un respeto afectuoso y lo retiró del poste. Colocó también al abrigo de las ofensas el pequeño velador de Zoé, que parecía avergonzado de encontrarse en la calle.

     Sin embargo, Riquet frotó las piernas de su dueño, levantó hacia él sus bonitos ojos afligidos, y su mirada decía:

     “Tú, hace poco tan rico y poderoso, ¿te habrás vuelto pobre? ¿Te habrás vuelto débil, oh dueño mío? Dejas que unos hombres cubiertos de andrajos viles invadan tu salón, tu dormitorio, tu comedor, se abalancen sobre tus muebles y se los lleven fuera, arrastrando por la escalera tu sillón profundo, tu sillón y el mío, el sillón en el que descansamos todas las tardes, y a menudo por la mañana, al lado el uno del otro. Yo lo he oído gemir en los brazos de los hombres mal vestidos, ese sillón que es un gran fetiche y un espíritu benevolente. No te has opuesto a estos invasores. Si tú no tienes ya ninguno de los genios que llenaban tu morada, si tú has perdido incluso esas pequeñas divinidades que calzabas por la mañana, al salir de la cama, esas pantuflas que yo mordía jugando, si tú eres indigente y miserable, oh, dueño mío, ¿qué será de mí?”

PENSÉES DE RIQUET

I

     Les hommes, les animaux, les pierres grandissent en s’approchant et deviennent énormes quand ils sont sur moi. Moi non. Je demeure toujours aussi grand partout où je suis.

II

     Quand le maître me tend sous la table sa nourriture, qu’il va mettre dans sa bouche, c’est pour me tenter et me punir si je succombe à la tentation. Car je ne puis croire qu’il se prive pour moi.

III

     L’odeur des chiens est délicieuse.

IV

     Mon maître me tient chaud quand je suis couché derrière lui dans son fauteuil. Et cela vient de ce qu’il est un dieu. Il y a aussi devant la cheminée une dalle chaude. Cette dalle est divine.

V

     Je parle quand je veux. De la bouche du maître il sort aussi des sons qui forment des sens. Mais ces sens sont bien moins distincts que ceux que j’exprime par les sons de ma voix. Dans ma bouche tout a un sens. Dans celle du maître il y a beaucoup de vains bruits. Il est difficile et nécessaire de deviner la pensée du maître.

VI

     Manger est bon. Avoir mangé est meilleur. Car l’ennemi qui vous épie pour prendre votre nourriture est prompt et subtil.

VII

     Tout passe et se succède. Moi seul je demeure.

VIII

     Je suis toujours au milieu de tout, et les hommes, les animaux et les choses sont rangés, hostiles ou favorables, autour de moi.

IX

     On voit dans le sommeil des hommes, des chiens, des maisons, des arbres, des formes aimables et des formes terribles. Et quand on s’éveille, ces formes ont disparu.

X

     Méditation. J’aime mon maître Bergeret parce qu’il est puissant et terrible.

XI

     Une action pour laquelle on a été frappé est une mauvaise action. Une action pour laquelle on a reçu des caresses ou de la nourriture est une bonne action.

XII

     À la tombée de la nuit des puissances malfaisantes rôdent autour de la maison. J’aboie pour que le maître averti les chasse.

XIII

     Prière. Ô mon maître Bergeret, dieu du carnage, je t’adore. Terrible, soit loué ! Sois loué, favorable ! Je rampe à tes pieds : je te lèche les mains. Tu es très grand et très beau quand tu dévores, devant la table dressée, des viandes abondantes. Tu es très grand et très beau quand, d’un mince éclat de bois faisant jaillir la flamme, tu changes la nuit en jour. Garde-moi dans ta maison à l’exclusion de tout autre chien. Et toi, Angélique la cuisinière, divinité très bonne et très grande, je te crains et je te vénère afin que tu me donnes beaucoup à manger.

XIV

     Un chien qui n’a pas de piété envers les hommes et qui méprise les fétiches assemblés dans la maison du maître mène une vie errante et misérable.

XV

     Un jour, un broc percé, rempli d’eau, qui traversait le salon, mouilla le parquet ciré. Je pense que ce broc malpropre fut fessé.

XVI

     Les hommes exercent cette puissance divine d’ouvrir toutes les portes. Je n’en puis ouvrir seul qu’un petit nombre. Les portes sont de grands fétiches qui n’obéissent pas volontiers aux chiens.

XVII

     La vie d’un chien est pleine de dangers. Et pour éviter la souffrance, il faut veiller à toute heure, pendant les repas, et même pendant le sommeil.

XVIII

     On ne sait jamais si l’on a bien agi envers les hommes. Il faut les adorer sans chercher à les comprendre. Leur sagesse est mystérieuse.

XIX

     Invocation. Ô Peur, Peur auguste et maternelle, Peur sainte et salutaire, pénètre en moi, emplis-moi dans le danger, afin que j’évite ce qui pourrait me nuire, et de crainte que, me jetant sur un ennemi, j’aie à souffrir de mon imprudence.

XX

     Il y a des voitures que des chevaux traînent par les rues. Elles sont terribles. Il y a des voitures qui vont toutes seules en soufflant très fort. Celles-là aussi sont pleines d’inimitié. Les hommes en haillons sont haïssables, et ceux aussi qui portent des paniers sur leur tête ou qui roulent des tonneaux. Je n’aime pas les enfants qui, se cherchant, se fuyant, courent et poussent de grands cris dans les rues. Le monde est plein de choses hostiles et redoutables.

PENSAMIENTOS DE RIQUET

I

     Los hombres, los animales, las piedras crecen conforme se acercan y se hacen enormes cuando están sobre mí. Yo, no. Yo permanezco siempre igual de grande dondequiera que esté.

II

     Cuando mi dueño me tiende bajo la mesa su comida, la que va a llevarse a la boca, es para tentarme y castigarme si sucumbo a la tentación. Pues no puedo creer que se prive de ello por mí.

III

     El olor de los perros es delicioso.

IV

     Mi dueño me da calor cuando me tiendo detrás de él en su sillón. Y ello proviene de que él es un dios. Hay también delante de la chimenea una losa cálida. Esta losa es divina.

V

     Hablo cuando quiero. De la boca de mi dueño también salen sonidos que forman un sentido. Pero esos sentidos son mucho menos claros que los que yo expreso con los sonidos de mi voz. En mi boca todo tiene un sentido. En la de mi dueño hay muchos ruidos vanos. Es difícil y necesario adivinar el pensamiento de mi dueño.

VI

     Comer es bueno. Haber comido es mejor. Pues el enemigo que os espía para coger vuestra comida es rápido y sutil.

VII

     Todo pasa y se sucede. Yo solo permanezco.

VIII

     Estoy siempre en medio de todo, y los hombres, los animales y las cosas se ordenan, hostiles o favorables, a mi alrededor.

IX

     En el sueño vemos hombres, perros, casas, árboles, formas amables y formas terribles. Y cuando despertamos, esas formas han desaparecido.

X

     Meditación. Amo a mi dueño Bergeret porque es poderoso y terrible.

XI

     Una acción por la que nos han golpeado es una mala acción. Una acción por la que hemos recibido caricias o comida es una buena acción.

XII

     Cuando llega la noche, poderes malhechores merodean alrededor de la casa. Yo ladro para que mi dueño, advertido, los expulse.

XIII

     Oración. Oh mi dueño Bergeret, dios de la matanza, yo te adoro. ¡Terrible, alabado seas! ¡Seas alabado, favorable! Yo trepo a tus pies; te lamo las manos. Eres grande y hermoso cuando devoras, delante de la mesa puesta, carnes abundantes. Eres grande y hermoso cuando, al hacer que surja la llama con un simple estallido de madera, cambias la noche por el día. Guárdame en tu casa con exclusión de cualquier otro perro. Y tú, Angélica, la cocinera, divinidad muy buena y muy grande, te temo y te venero con el fin de que me des mucho de comer.

XIV

     Un perro que no tiene piedad de los hombres y que desprecia los fetiches reunidos en la casa del dueño lleva una vida errante y miserable.

XV

     Un día, una jarra agujereada, llena de agua, que cruzaba el salón, mojó el suelo encerado. Creo que a esa jarra indecente le pegaron en el culo.

XVI

     Los hombres ejercen este poder divino de abrir todas las puertas. Yo no puedo abrir sino un pequeño número. Las puertas son grandes fetiches que no obedecen a gusto a los perros.

XVII

     La vida de un perro está llena de peligros. Y para evitar el sufrimiento, hay que vigilar siempre, durante las comidas, e incluso durante el sueño.

XVIII

     Nunca se sabe si se ha actuado bien con los hombres. Es necesario adorarlos sin intentar comprenderlos. Su sabiduría es misteriosa.

XIX.

     Invocación. Oh Miedo, Miedo augusto y materno, Miedo santo y saludable, penetra en mí, lléname en el peligro, para evitar lo que podría dañarme, y con el temor de que, al arrojarme sobre un enemigo, pueda sufrir con mi imprudencia.

XX

     Hay coches que los caballos arrastran por las calles. Estos son terribles. Hay coches que van solos y bocinan muy fuerte. Estos también están llenos de enemistad. Los hombres andrajosos son odiosos, y también los que llevan cestas en las cabezas y los que ruedan toneles. Yo no amo a los niños que, buscándose o huyendo, corren y dan grandes gritos en las calles. El mundo está lleno de cosas hostiles y temibles.

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