Página dedicada a mi madre, julio de 2020

Jean Giono

L´homme qui plantait des arbres

1953

«J´ai donné mes doits gratuitement pour toutes les reproductions». (Lettre de Jean Giono, 1957, au Conservateur des Eaux et Forêt de Digne).

 

Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable.

Il y a environ une quarantaine d’années, je faisais une longue course à pied, sur des hauteurs absolument inconnues des touristes, dans cette très vieille région des Alpes qui pénètre en Provence. Cette région est délimitée au sud-est et au sud par le cours moyen de la Durance, entre Sisteron et Mirabeau; au nord par le cours supérieur de la Drôme, depuis sa source jusqu’à Die; à l’ouest par les plaines du Comtat Venaissin et les contreforts du Mont-Ventoux. Elle comprend toute la partie nord du département des Basses-Alpes, le sud de la Drôme et une petite enclave du Vaucluse.

C’était, au moment où j’entrepris ma longue promenade dans ces déserts, des landes nues et monotones, vers 1200 à 1300 mètres d’altitude. Il n’y poussait que des lavandes sauvages.

Je traversais ce pays dans sa plus grande largeur et, après trois jours de marche, je me trouvais dans une désolation sans exemple. Je campais à côté d’un squelette de village abandonné. Je n’avais plus d’eau depuis la veille et il me fallait en trouver. Ces maisons agglomérées, quoique en ruine, comme un vieux nid de guêpes, me firent penser qu’il avait dû y avoir là, dans le temps, une fontaine ou un puit. Il y avait bien une fontaine, mais sèche. Les cinq à six maisons, sans toiture, rongées de vent et de pluie, la petite chapelle au clocher écroulé, étaient rangées comme le sont les maisons et les chapelles dans les villages vivants, mais toute vie avait disparu.

C’était un beau jour de juin avec grand soleil, mais sur ces terres sans abri et hautes dans le ciel, le vent soufflait avec une brutalité insupportable. Ses grondements dans les carcasses des maisons étaient ceux d’un fauve dérangé dans son repas.

Il me fallut lever le camp. A cinq heures de marche de là, je n’avais toujours pas trouvé d’eau et rien ne pouvait me donner l’espoir d’en trouver. C’était partout la même sécheresse, les mêmes herbes ligneuses. Il me sembla apercevoir dans le lointain une petite silhouette noire, debout. Je la pris pour le tronc d’un arbre solitaire. A tout hasard, je me dirigeai vers elle. C’était un berger. Une trentaine de moutons couchés sur la terre brûlante se reposaient près de lui.

Il me fit boire à sa gourde et, un peu plus tard, il me conduisit à sa bergerie, dans une ondulation du plateau. Il tirait son eau – excellente – d’un trou naturel, très profond, au-dessus duquel il avait installé un treuil rudimentaire.

Cet homme parlait peu. C’est le fait des solitaires, mais on le sentait sûr de lui et confiant dans cette assurance. C’était insolite dans ce pays dépouillé de tout. Il n’habitait pas une cabane mais une vraie maison en pierre où l’on voyait très bien comment son travail personnel avait rapiécé la ruine qu’il avait trouvé là à son arrivée. Son toit était solide et étanche. Le vent qui le frappait faisait sur les tuiles le bruit de la mer sur les plages.

Son ménage était en ordre, sa vaisselle lavée, son parquet balayé, son fusil graissé; sa soupe bouillait sur le feu. Je remarquai alors qu’il était aussi rasé de frais, que tous ses boutons étaient solidement cousus, que ses vêtements étaient reprisés avec le soin minutieux qui rend les reprises invisibles.

Il me fit partager sa soupe et, comme après je lui offrais ma blague à tabac, il me dit qu’il ne fumait pas. Son chien, silencieux comme lui, était bienveillant sans bassesse.

Il avait été entendu tout de suite que je passerais la nuit là; le village le plus proche était encore à plus d’une journée et demie de marche. Et, au surplus, je connaissais parfaitement le caractère des rares villages de cette région. Il y en a quatre ou cinq dispersés loin les uns des autres sur les flancs de ces hauteurs, dans les taillis de chênes blancs à la toute extrémité des routes carrossables. Ils sont habités par des bûcherons qui font du charbon de bois. Ce sont des endroits où l’on vit mal. Les familles serrées les unes contre les autres dans ce climat qui est d’une rudesse excessive, aussi bien l’été que l’hiver, exaspèrent leur égoïsme en vase clos. L’ambition irraisonnée s’y démesure, dans le désir continu de s’échapper de cet endroit.

Les hommes vont porter leur charbon à la ville avec leurs camions, puis retournent. Les plus solides qualités craquent sous cette perpétuelle douche écossaise. Les femmes mijotent des rancœurs. Il y a concurrence sur tout, aussi bien pour la vente du charbon que pour le banc à l’église, pour les vertus qui se combattent entre elles, pour les vices qui se combattent entre eux et pour la mêlée générale des vices et des vertus, sans repos. Par là-dessus, le vent également sans repos irrite les nerfs. Il y a des épidémies de suicides et de nombreux cas de folies, presque toujours meurtrières.

Le berger qui ne fumait pas alla chercher un petit sac et déversa sur la table un tas de glands. Il se mit à les examiner l’un après l’autre avec beaucoup d’attention, séparant les bons des mauvais. Je fumais ma pipe. Je me proposai pour l’aider. Il me dit que c’était son affaire. En effet: voyant le soin qu’il mettait à ce travail, je n’insistai pas. Ce fut toute notre conversation. Quand il eut du côté des bons un tas de glands assez gros, il les compta par paquets de dix. Ce faisant, il éliminait encore les petits fruits ou ceux qui étaient légèrement fendillés, car il les examinait de fort près. Quand il eut ainsi devant lui cent glands parfaits, il s’arrêta et nous allâmes nous coucher.

La société de cet homme donnait la paix. Je lui demandai le lendemain la permission de me reposer tout le jour chez lui. Il le trouva tout naturel, ou, plus exactement, il me donna l’impression que rien ne pouvait le déranger. Ce repos ne m’était pas absolument obligatoire, mais j’étais intrigué et je voulais en savoir plus. Il fit sortir son troupeau et il le mena à la pâture. Avant de partir, il trempa dans un seau d’eau le petit sac où il avait mis les glands soigneusement choisis et comptés.

Je remarquai qu’en guise de bâton, il emportait une tringle de fer grosse comme le pouce et longue d’environ un mètre cinquante. Je fis celui qui se promène en se reposant et je suivis une route parallèle à la sienne. La pâture de ses bêtes était dans un fond de combe. Il laissa le petit troupeau à la garde du chien et il monta vers l’endroit où je me tenais. J’eus peur qu’il vînt pour me reprocher mon indiscrétion mais pas du tout: c’était sa route et il m’invita à l’accompagner si je n’avais rien de mieux à faire. Il allait à deux cents mètres de là, sur la hauteur.

Arrivé à l’endroit où il désirait aller, il se mit à planter sa tringle de fer dans la terre. Il faisait ainsi un trou dans lequel il mettait un gland, puis il rebouchait le trou. Il plantait des chênes. Je lui demandai si la terre lui appartenait. Il me répondit que non. Savait-il à qui elle était? Il ne savait pas. Il supposait que c’était une terre communale, ou peut-être, était-elle propriété de gens qui ne s’en souciaient pas? Lui ne se souciait pas de connaître les propriétaires. Il planta ainsi cent glands avec un soin extrême.

Après le repas de midi, il recommença à trier sa semence. Je mis, je crois, assez d’insistance dans mes questions puisqu’il y répondit. Depuis trois ans il plantait des arbres dans cette solitude. Il en avait planté cent mille. Sur les cent mille, vingt mille était sortis. Sur ces vingt mille, il comptait encore en perdre la moitié, du fait des rongeurs ou de tout ce qu’il y a d’impossible à prévoir dans les desseins de la Providence. Restaient dix mille chênes qui allaient pousser dans cet endroit où il n’y avait rien auparavant.

C’est à ce moment là que je me souciai de l’âge de cet homme. Il avait visiblement plus de cinquante ans. Cinquante-cinq, me dit-il. Il s’appelait Elzéard Bouffier. Il avait possédé une ferme dans les plaines. Il y avait réalisé sa vie. Il avait perdu son fils unique, puis sa femme. Il s’était retiré dans la solitude où il prenait plaisir à vivre lentement, avec ses brebis et son chien. Il avait jugé que ce pays mourait par manque d’arbres. Il ajouta que, n’ayant pas d’occupations très importantes, il avait résolu de remédier à cet état de choses.

Menant moi-même à ce moment-là, malgré mon jeune âge, une vie solitaire, je savais toucher avec délicatesse aux âmes des solitaires. Cependant, je commis une faute. Mon jeune âge, précisément, me forçait à imaginer l’avenir en fonction de moi-même et d’une certaine recherche du bonheur. Je lui dis que, dans trente ans, ces dix mille chênes seraient magnifiques. Il me répondit très simplement que, si Dieu lui prêtait vie, dans trente ans, il en aurait planté tellement d’autres que ces dix mille seraient comme une goutte d’eau dans la mer.

Il étudiait déjà, d’ailleurs, la reproduction des hêtres et il avait près de sa maison une pépinière issue des faînes. Les sujets qu’il avait protégés de ses moutons par une barrière en grillage, étaient de toute beauté. Il pensait également à des bouleaux pour les fonds où, me dit-il, une certaine humidité dormait à quelques mètres de la surface du sol.

Nous nous séparâmes le lendemain.

L’année d’après, il y eut la guerre de 14 dans laquelle je fus engagé pendant cinq ans. Un soldat d’infanterie ne pouvait guère y réfléchir à des arbres. A dire vrai, la chose même n’avait pas marqué en moi: je l’avais considérée comme un dada, une collection de timbres, et oubliée.

Sorti de la guerre, je me trouvais à la tête d’une prime de démobilisation minuscule mais avec le grand désir de respirer un peu d’air pur. C’est sans idée préconçue – sauf celle-là – que je repris le chemin de ces contrées désertes.

Le pays n’avait pas changé. Toutefois, au-delà du village mort, j’aperçus dans le lointain une sorte de brouillard gris qui recouvrait les hauteurs comme un tapis. Depuis la veille, je m’étais remis à penser à ce berger planteur d’arbres. «Dix mille chênes, me disais-je, occupent vraiment un très large espace».

J’avais vu mourir trop de monde pendant cinq ans pour ne pas imaginer facilement la mort d’Elzéar Bouffier, d’autant que, lorsqu’on en a vingt, on considère les hommes de cinquante comme des vieillards à qui il ne reste plus qu’à mourir. Il n’était pas mort. Il était même fort vert. Il avait changé de métier. Il ne possédait plus que quatre brebis mais, par contre, une centaine de ruches. Il s’était débarrassé des moutons qui mettaient en péril ses plantations d’arbres. Car, me dit-il (et je le constatais), il ne s’était pas du tout soucié de la guerre. Il avait imperturbablement continué à planter.

Les chênes de 1910 avaient alors dix ans et étaient plus hauts que moi et que lui. Le spectacle était impressionnant. J’étais littéralement privé de parole et, comme lui ne parlait pas, nous passâmes tout le jour en silence à nous promener dans sa forêt. Elle avait, en trois tronçons, onze kilomètres de long et trois kilomètres dans sa plus grande largeur. Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme – sans moyens techniques – on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction.

Il avait suivi son idée, et les hêtres qui m’arrivaient aux épaules, répandus à perte de vue, en témoignaient. Les chênes étaient drus et avaient dépassé l’âge où ils étaient à la merci des rongeurs; quant aux desseins de la Providence elle-même, pour détruire l’œuvre créée, il lui faudrait avoir désormais recours aux cyclones. Il me montra d’admirables bosquets de bouleaux qui dataient de cinq ans, c’est-à-dire de 1915, de l’époque où je combattais à Verdun. Il leur avait fait occuper tous les fonds où il soupçonnait, avec juste raison, qu’il y avait de l’humidité presque à fleur de terre. Ils étaient tendres comme des adolescents et très décidés.

La création avait l’air, d’ailleurs, de s’opérer en chaînes. Il ne s’en souciait pas; il poursuivait obstinément sa tâche, très simple. Mais en redescendant par le village, je vis couler de l’eau dans des ruisseaux qui, de mémoire d’homme, avaient toujours été à sec. C’était la plus formidable opération de réaction qu’il m’ait été donné de voir. Ces ruisseaux secs avaient jadis porté de l’eau, dans des temps très anciens. Certains de ces villages tristes dont j’ai parlé au début de mon récit s’étaient construits sur les emplacements d’anciens villages gallo-romains dont il restait encore des traces, dans lesquelles les archéologues avaient fouillé et ils avaient trouvé des hameçons à des endroits où au vingtième siècle, on était obligé d’avoir recours à des citernes pour avoir un peu d’eau.

Le vent aussi dispersait certaines graines. En même temps que l’eau réapparut réapparaissaient les saules, les osiers, les prés, les jardins, les fleurs et une certaine raison de vivre.

Mais la transformation s’opérait si lentement qu’elle entrait dans l’habitude sans provoquer d’étonnement. Les chasseurs qui montaient dans les solitudes à la poursuite des lièvres ou des sangliers avaient bien constaté le foisonnement des petits arbres mais ils l’avaient mis sur le compte des malices naturelles de la terre. C’est pourquoi personne ne touchait à l’œuvre de cet homme. Si on l’avait soupçonné, on l’aurait contrarié. Il était insoupçonnable. Qui aurait pu imaginer, dans les villages et dans les administrations, une telle obstination dans la générosité la plus magnifique?

A partir de 1920, je ne suis jamais resté plus d’un an sans rendre visite à Elzéard Bouffier. Je ne l’ai jamais vu fléchir ni douter. Et pourtant, Dieu sait si Dieu même y pousse! Je n’ai pas fait le compte de ses déboires. On imagine bien cependant que, pour une réussite semblable, il a fallu vaincre l’adversité; que, pour assurer la victoire d’une telle passion, il a fallu lutter avec le désespoir. Il avait, pendant un an, planté plus de dix mille érables. Ils moururent tous. L’an d’après, il abandonna les érables pour reprendre les hêtres qui réussirent encore mieux que les chênes.

Pour avoir une idée à peu près exacte de ce caractère exceptionnel, il ne faut pas oublier qu’il s’exerçait dans une solitude totale; si totale que, vers la fin de sa vie, il avait perdu l’habitude de parler. Ou, peut-être, n’en voyait-il pas la nécessité?

En 1933, il reçut la visite d’un garde forestier éberlué. Ce fonctionnaire lui intima l’ordre de ne pas faire de feu dehors, de peur de mettre en danger la croissance de cette forêt naturelle. C’était la première fois, lui dit cet homme naïf, qu’on voyait une forêt pousser toute seule. A cette époque, il allait planter des hêtres à douze kilomètres de sa maison. Pour s’éviter le trajet d’aller-retour – car il avait alors soixante quinze ans – il envisageait de construire une cabane de pierre sur les lieux mêmes de ses plantations. Ce qu’il fit l’année d’après.

En 1935, une véritable délégation administrative vint examiner la «forêt naturelle». Il y avait un grand personnage des Eaux et Forêts, un député, des techniciens. On prononça beaucoup de paroles inutiles. On décida de faire quelque chose et, heureusement, on ne fit rien, sinon la seule chose utile: mettre la forêt sous la sauvegarde de l’État et interdire qu’on vienne y charbonner. Car il était impossible de n’être pas subjugué par la beauté de ces jeunes arbres en pleine santé. Et elle exerça son pouvoir de séduction sur le député lui-même.

J’avais un ami parmi les capitaines forestiers qui était de la délégation. Je lui expliquai le mystère. Un jour de la semaine d’après, nous allâmes tous les deux à la recherche d’Elzéard Bouffier. Nous le trouvâmes en plein travail, à vingt kilomètres de l’endroit où avait eu lieu l’inspection.

Ce capitaine forestier n’était pas mon ami pour rien. Il connaissait la valeur des choses. Il sut rester silencieux. J’offris les quelques œufs que j’avais apportés en présent. Nous partageâmes notre casse-croûte en trois et quelques heures passèrent dans la contemplation muette du paysage.

Le côté d’où nous venions était couvert d’arbres de six à sept mètres de haut. Je me souvenais de l’aspect du pays en 1913: le désert… Le travail paisible et régulier, l’air vif des hauteurs, la frugalité et surtout la sérénité de l’âme avaient donné à ce vieillard une santé presque solennelle. C’était un athlète de Dieu. Je me demandais combien d’hectares il allait encore couvrir d’arbres.

Avant de partir, mon ami fit simplement une brève suggestion à propos de certaines essences auxquelles le terrain d’ici paraissait devoir convenir. Il n’insista pas. «Pour la bonne raison, me dit-il après, que ce bonhomme en sait plus que moi.» Au bout d’une heure de marche – l’idée ayant fait son chemin en lui – il ajouta: «Il en sait beaucoup plus que tout le monde. Il a trouvé un fameux moyen d’être heureux!»

C’est grâce à ce capitaine que, non seulement la forêt, mais le bonheur de cet homme furent protégés. Il fit nommer trois gardes-forestiers pour cette protection et il les terrorisa de telle façon qu’ils restèrent insensibles à tous les pots-de-vin que les bûcherons pouvaient proposer.

L’œuvre ne courut un risque grave que pendant la guerre de 1939. Les automobiles marchant alors au gazogène, on n’avait jamais assez de bois. On commença à faire des coupes dans les chênes de 1910, mais ces quartiers sont si loin de tous réseaux routiers que l’entreprise se révéla très mauvaise au point de vue financier. On l’abandonna. Le berger n’avait rien vu. Il était à trente kilomètres de là, continuant paisiblement sa besogne, ignorant la guerre de 39 comme il avait ignoré la guerre de 14.

J’ai vu Elzéard Bouffier pour la dernière fois en juin 1945. Il avait alors quatre-vingt-sept ans. J’avais donc repris la route du désert, mais maintenant, malgré le délabrement dans lequel la guerre avait laissé le pays, il y avait un car qui faisait le service entre la vallée de la Durance et la montagne. Je mis sur le compte de ce moyen de transport relativement rapide le fait que je ne reconnaissais plus les lieux de mes dernières promenades. Il me semblait aussi que l’itinéraire me faisait passer par des endroits nouveaux. J’eus besoin d’un nom de village pour conclure que j’étais bien cependant dans cette région jadis en ruine et désolée. Le car me débarqua à Vergons.

En 1913, ce hameau de dix à douze maisons avait trois habitants. Ils étaient sauvages, se détestaient, vivaient de chasse au piège: à peu près dans l’état physique et moral des hommes de la préhistoire. Les orties dévoraient autour d’eux les maisons abandonnées. Leur condition était sans espoir. Il ne s’agissait pour eux que d’attendre la mort: situation qui ne prédispose guère aux vertus.

Tout était changé. L’air lui-même. Au lieu des bourrasques sèches et brutales qui m’accueillaient jadis, soufflait une brise souple chargée d’odeurs. Un bruit semblable à celui de l’eau venait des hauteurs: c’était celui du vent dans les forêts. Enfin, chose plus étonnante, j’entendis le vrai bruit de l’eau coulant dans un bassin. Je vis qu’on avait fait une fontaine, qu’elle était abondante et, ce qui me toucha le plus, on avait planté près d’elle un tilleul qui pouvait déjà avoir dans les quatre ans, déjà gras, symbole incontestable d’une résurrection.

Par ailleurs, Vergons portait les traces d’un travail pour l’entreprise duquel l’espoir était nécessaire. L’espoir était donc revenu. On avait déblayé les ruines, abattu les pans de murs délabrés et reconstruit cinq maisons. Le hameau comptait désormais vingt-huit habitants dont quatre jeunes ménages. Les maisons neuves, crépies de frais, étaient entourées de jardins potagers où poussaient, mélangés mais alignés, les légumes et les fleurs, les choux et les rosiers, les poireaux et les gueules-de-loup, les céleris et les anémones. C’était désormais un endroit où l’on avait envie d’habiter.

A partir de là, je fis mon chemin à pied. La guerre dont nous sortions à peine n’avait pas permis l’épanouissement complet de la vie, mais Lazare était hors du tombeau. Sur les flancs abaissés de la montagne, je voyais de petits champs d’orge et de seigle en herbe; au fond des étroites vallées, quelques prairies verdissaient.

Il n’a fallu que les huit ans qui nous séparent de cette époque pour que tout le pays resplendisse de santé et d’aisance. Sur l’emplacement des ruines que j’avais vues en 1913, s’élèvent maintenant des fermes propres, bien crépies, qui dénotent une vie heureuse et confortable. Les vieilles sources, alimentées par les pluies et les neiges que retiennent les forêts, se sont remises à couler. On en a canalisé les eaux. A côté de chaque ferme, dans des bosquets d’érables, les bassins des fontaines débordent sur des tapis de menthes fraîches. Les villages se sont reconstruits peu à peu. Une population venue des plaines où la terre se vend cher s’est fixée dans le pays, y apportant de la jeunesse, du mouvement, de l’esprit d’aventure. On rencontre dans les chemins des hommes et des femmes bien nourris, des garçons et des filles qui savent rire et ont repris goût aux fêtes campagnardes. Si on compte l’ancienne population, méconnaissable depuis qu’elle vit avec douceur et les nouveaux venus, plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier.

Quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d’un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu.

Elzéard Bouffier est mort paisiblement en 1947 à l’hospice de Banon.

El hombre que plantaba árboles

Versión julio de 2013 y enero de 2022

A mi sobrina Lola Gómez Vidal ,
en su defensa de las aguas.

*

Para que el carácter de un ser humano desvele cualidades verdaderamente excepcionales, es necesario tener la buena suerte de poder observar sus actos durante largos años. Si estos actos están despojados de todo egoísmo, si la idea que los dirige es de una generosidad sin precedente, si es absolutamente cierto que no han buscado recompensa en ningún lado y que, además, han dejado en el mundo huellas visibles, entonces estamos, sin riesgo de error, ante un carácter inolvidable.

Hace unos cuarenta años, daba una larga caminata por montes totalmente desconocidos por los turistas, en esa viejísima región de los Alpes que penetra en la Provenza. Esa región está delimitada al sudeste y al sur por el curso medio del Durance, entre Sisteron y Mirabeau; al norte, por el curso superior del Drôme, desde su nacimiento hasta Die; al oeste por las llanuras del Condado Venaissin y los contrafuertes del Mont Ventoux. Comprende toda la parte norte del departamento de los Basses-Alpes, el sur del Drôme y un pequeño enclave de Vaucluse.

En el momento en que emprendí mi largo paseo por esos desiertos, esas tierras eran landas desnudas y monótonas, entre 1200 y 1300 metros de altitud. Ahí solo brotaba la lavanda silvestre.

Cruzaba esa tierra por su parte más ancha y, después de tres días de camino, me encontraba en una desolación sin igual. Acampaba junto al esqueleto de un pueblo abandonado. No tenía agua desde el día anterior y necesitaba encontrarla. Esas casas aglomeradas, aunque en ruina, como un viejo nido de avispas, me hicieron pensar que había debido de haber allí, hacía tiempo, una fuente o un pozo. Había, claro, una fuente, pero seca. Las cinco o seis casas, sin techumbre, roídas por el viento y por la lluvia, y la pequeña capilla con el campanario derrumbado estaban dispuestas como lo están las casas y las capillas de los pueblos vivos, pero toda vida había desaparecido.

Era un hermoso día de junio con mucho sol, pero en esas tierras sin abrigo y altas en el cielo, el viento soplaba con una brutalidad insoportable. Sus rugidos en las osamentas de las casas eran los de una fiera a la que molestaran durante su comida.

Tuve que levantar el campamento. Tras cinco horas de marcha, aún no había encontrado agua, y nada podía darme la esperanza de encontrarla. Había por todas partes la misma sequedad, las mismas hierbas leñosas. A lo lejos, me pareció distinguir una pequeña silueta negra, de pie. Creí que era el tronco de un árbol solitario. Por si acaso, me dirigí hacia ella. Era un pastor. Unas treinta ovejas tendidas en el suelo ardiente descansaban a su lado.

Me dio de beber de su cantimplora y, un poco después, me llevó a su redil, en una ondulación de la meseta. Sacaba el agua – excelente – de un hoyo natural, muy profundo, sobre el cual había instalado un torno rudimentario.

Este hombre hablaba poco. Es la costumbre de los solitarios, pero se le notaba seguro de él y confiado en esta seguridad. Era insólito en esa tierra despojada de todo. No vivía en una cabaña, sino en una verdadera casa de piedra en la que se veía muy bien cómo su trabajo personal había reparado la ruina que, a su llegada, había encontrado allí. Su techo era sólido e impermeable. El viento que lo golpeaba hacía sobre las tejas el ruido del mar en las orillas.

Sus cosas estaban en orden, la vajilla lavada, el suelo barrido, la escopeta engrasada; la sopa hervía en el fuego. Observé entonces que estaba afeitado de hacía poco, que todos sus botones estaban sólidamente cosidos, que sus ropas estaban zurcidas con un cuidado tan minucioso, que tal labor resultaba invisible.

Compartió conmigo su sopa y, dado que después le ofrecí mi petaca, me dijo que no fumaba. Su perro, silencioso como él, era acogedor sin bajeza.

Se había comprendido enseguida que yo pasaría allí la noche; el pueblo más cercano estaba aún a más de una jornada y media de camino. Y, además, conocía perfectamente el carácter de los raros pueblos de esa región. Hay cuatro o cinco dispersos, lejos el uno del otro, en las laderas de esos montes, en los bosquecillos de robles blancos al final de las carreteras transitables. Habitan ahí leñadores que hacen carbón de la madera. Son lugares en los que se vive mal. Las familias, apretadas las unas contra las otras en ese clima de rudeza excesiva, tanto en verano como en invierno, exacerban su egoísmo en su reclusión. La ambición irracional, ahí, se extralimita, en el deseo continuo de escapar de ese lugar.

Los hombres llevan su carbón a la ciudad en sus camiones, luego vuelven. Las cualidades más sólidas revientan bajo el perpetuo vaivén de estas vicisitudes. Las mujeres tejen sus rencores. Hay concurrencia en todo, tanto en la venta del carbón como en el banco de la iglesia, en las virtudes que luchan entre sí, en los vicios que luchan entre sí, y en el combate general entre los vicios y las virtudes, sin descanso. Arriba, el viento, igualmente sin descanso, crispa los nervios. Hay epidemias de suicidios y numerosos casos de locura, casi siempre asesina.

El pastor que no fumaba fue a buscar una pequeña bolsa y esparció sobre la mesa un montón de bellotas. Se puso a examinarlas una a una, con mucha atención, separando las buenas de las malas. Yo fumaba mi pipa. Me proponía ayudarlo. Me dijo que esa era su tarea. En efecto: viendo el cuidado que ponía en ese trabajo, no insistí. Esa fue toda nuestra conversación. Cuando tuvo, en el lado de las buenas, un montón de bellotas bastante grandes, las contó en grupos de diez. Mientras hacía esto, volvía a eliminar los frutos pequeños o los que estaban ligeramente agrietados, pues los examinaba desde muy cerca. Cuando tuvo así, ante él, cien bellotas perfectas, se detuvo y fuimos a acostarnos.

La compañía de este hombre daba paz. Al día siguiente le pedí permiso para descansar todo el día en su casa. Lo encontró muy natural, o, más exactamente, me dio la impresión de que nada podía molestarlo. Ese descanso no era para mí totalmente necesario, pero estaba intrigado y quería saber más. Sacó su rebaño y lo llevó a pastar. Antes de marcharse, bañó en un cubo de agua la pequeña bolsa en la que había puesto las bellotas cuidadosamente elegidas y contadas.

Observé que a modo de bastón, llevaba una vara de hierro del grosor del pulgar y aproximadamente de un metro cincuenta de altura. Hice como el que se pasea descansando y seguí un camino paralelo al suyo. El pasto de los animales estaba en el fondo de una depresión. Dejó el pequeño rebaño con el perro como guardián y subió hacia el lugar donde yo estaba. Tuve miedo de que viniera a reprocharme mi indiscreción, pero no fue así: era su camino, y me invitó a que lo acompañara si no tenía nada mejor que hacer. Iba a unos doscientos metros de allí, al monte.

Cuando llegó al lugar al que deseaba ir, se puso a introducir su vara de hierro en la tierra. Así hacía un agujero en el que metía una bellota, luego lo tapaba. Plantaba robles. Le pregunté si el terrero le pertenecía. Me respondió que no. ¿Sabía de quién era? No lo sabía. ¿Suponía que eran tierras comunales, o quizás, que era propiedad de gente que no se preocupaba por ellas? No se preocupaba por conocer a los propietarios. Así, plantó cien bellotas con un cuidado extremo.

Después del almuerzo, volvió a seleccionar su simiente. Puse, creo, bastante insistencia en mis preguntas, pues me respondió. Hacía tres años que plantaba árboles en esa soledad. Había plantado cien mil. De los cien mil, veinte mil habían brotado. De estos veinte mil, contaba aún con perder la mitad, por los roedores o por todo lo que es imposible de prever en los designios de la Providencia. Quedaban diez mil robles que iban a crecer en ese lugar en el que antes no había nada.

Fue en ese momento cuando me preocupé por la edad de este hombre. Tenía visiblemente más de cincuenta años. Cincuenta y cinco, me dijo. Se llamaba Elzéard Bouffier. Había tenido una granja en las llanuras. Allí había hecho su vida. Había perdido a su único hijo, luego a su mujer. Se había retirado a la soledad, donde se complacía en vivir lentamente, con sus ovejas y su perro. Había considerado que esa tierra se moría por falta de árboles. Añadió que, al no tener ocupaciones muy importantes, había decidido remediar ese estado de cosas.

Llevando yo mismo en ese momento, a pesar de mi joven edad, una vida solitaria, sabía acercarme con delicadeza a las almas de los solitarios. Sin embargo, cometí una falta. Mi juventud, precisamente, me forzaba a imaginar el futuro en función de mí mismo y de una cierta búsqueda de felicidad. Le dije que, en treinta años, esos diez mil robles serían magníficos. Me respondió con mucha naturalidad que, si Dios le daba vida, en treinta años, habría plantado tantos, que esos diez mil serían como una gota de agua en el mar.

Estudiaba ya, por cierto, la reproducción de la hayas y tenía cerca de su casa un vivero sacado de los hayucos. Los retoños que había protegido de sus ovejas con un enrejado eran de suma belleza. Pensaba igualmente en unos abedules para las hondonadas en las que, me dijo, dormía cierta humedad a algunos metros de la superficie del suelo.

Nos separamos al día siguiente.

Al año siguiente, fue la guerra del 14, en la que estuve movilizado durante cinco años. Un soldado de infantería no podía reflexionar allí sobre unos árboles. Para decir la verdad, ello mismo no me había marcado: lo había considerado como una distracción, una colección de sellos, y olvidado.

Tras salir de la guerra, me encontraba dueño de una prima de desmovilización minúscula, pero con un gran deseo de respirar un poco de aire puro. Es sin idea preconcebida – salvo esa – como retomé el camino de esas comarcas desiertas.

El lugar no había cambiado. Sin embargo, al otro lado del pueblo muerto, percibí en la lejanía una especie de niebla gris que cubría los montes como un tapiz. Desde la víspera, había vuelto a pensar en ese pastor que plantaba árboles. «Diez mil robles, me decía a mí mismo, ocupan verdaderamente un gran espacio».

Había visto morir a demasiada gente durante cinco años para no imaginar fácilmente la muerte de Elzéard Bouffier, además de que, cuando se tienen veinte años, se considera a los hombres de cincuenta como a viejos a los que no les queda más que morir. No estaba muerto. Estaba incluso muy lozano. Había cambiado de trabajo. Ahora no tenía más que cuatro ovejas pero, en cambio, tenía un centenar de colmenas. Se había librado de las ovejas que ponían en peligro sus plantaciones de árboles. Pues, me dijo (y yo lo constataba), no se había preocupado nada por la guerra. Imperturbable-mente había seguido plantando.

Los robles de 1910 tenían entonces diez años y eran más altos que él y que yo. El espectáculo era impresionante. Literalmente me había quedado sin palabras y, como él no hablaba, pasamos todo el día en silencio paseándonos por su bosque. Este tenía, en tres tramos, once kilómetros de largo y tres kilómetros en su parte más ancha. Cuando uno recordaba que todo había salido de las manos y del alma de este hombre – sin medios técnicos – se comprendía que los hombres podrían ser tan eficaces como Dios en otros dominios distintos al de la destrucción.

Había continuado con su idea, y las hayas, que me llegaban a los hombros, esparcidas hasta el horizonte, lo atestiguaban. Los robles eran frondosos y habían superado la edad en la que estaban a merced de los roedores; en cuanto a los designios de la misma Providencia, si esta quería destruir una obra creada, tendría que recurrir ahora a los ciclones. Me mostró admirables bosquecillos de abedules que databan de hacía cinco años, es decir, de 1915, de la época en que yo combatía en Verdún. Había hecho que ocuparan todas las hondonadas en las que presentía, con justa razón, que había humedad casi a ras de tierra. Eran tiernos como adolescentes y muy decididos.

La creación parecía, además, que se efectuaba en cadena. Él no se preocupaba; continuaba obstinadamente su tarea, simplemente. Pero al bajar hacia el pueblo, vi que el agua corría en arroyos que, desde tiempo inmemorial, habían estado siempre secos. Era el más formidable efecto de reacción que se me haya dado a ver. Esos arroyos secos ya habían llevado agua, en tiempos muy lejanos. Algunos de esos pueblos tristes de los que he hablado al principio de mi relato se habían construido en emplazamientos de antiguos pueblos galo-romanos de los que aún quedaban huellas en las que los arqueólogos habían excavado y habían encontrado anzuelos en lugares en los que en el siglo veinte estábamos obligados a recurrir a cisternas para tener un poco de agua.

El viento también esparcía algunos granos. Al mismo tiempo que el agua reapareció, reaparecieron los sauces, las mimbreras, los prados, los jardines, las flores y una cierta razón de vivir.

Pero la transformación se efectuaba tan lentamente, que se sumía en lo usual sin provocar extrañamiento. Los cazadores que subían a las soledades persiguiendo a las liebres o a los jabalíes habían constatado la abundancia de arbolitos, pero se lo habían atribuido a las ironías naturales de la tierra. Es por ello por lo que nadie tocaba la obra de este hombre. Si se hubiera sospechado de él, se le habría contrariado. Él era incuestionable. ¿Quién habría podido imaginar, en los pueblos y en las administraciones, tal obstinación en la más magnífica generosidad?

A partir de 1920, no he permanecido nunca más de un año sin visitar a Elzéard Bouffier. No lo he visto nunca flaquear ni dudar. Y sin embargo, ¡Dios sabe lo que él mismo apremia! No he hecho la cuenta de sus desengaños. Imaginamos, a pesar de ello, que, para un logro tal, ha sido necesario vencer la adversidad; que, para asegurar la victoria de tal pasión, ha sido necesario luchar contra la desesperación. Durante un año había plantado más de diez mil arces. Todos murieron. Al año siguiente, abandonó los arces para retomar las hayas, que salieron adelante mejor que los robles.

Para tener una idea casi exacta de este carácter excepcional, no hay que olvidar que se entregaba en una completa soledad; tan completa que, hacia el final de su vida, había perdido la costumbre de hablar. ¿O tal vez no veía la necesidad de ello?

En 1933, recibió la visita de un guardabosques atónito. Este funcionario le conminó a que no hiciera fuego fuera, por miedo a poner en peligro el crecimiento de este bosque natural. Era la primera vez, le dijo este hombre cándido, que se veía brotar un bosque por sí solo. En esta época, estaba plantando hayas a doce kilómetros de su casa. Para evitar el trayecto de ida y vuelta – pues tenía entonces setenta y cinco años – proyectaba construir una cabaña de piedra en los mismos lugares de sus plantaciones. Lo que hizo un año después.

En 1935, una verdadera delegación administrativa vino a examinar el «bosque natural». Había una gran personalidad de Aguas y Bosques, un diputado, técnicos. Se pronunciaron muchas palabras inútiles. Se decidió hacer algo y, felizmente, no se hizo nada, a no ser la única cosa útil: poner el bosque bajo la salvaguarda del Estado y prohibir que se fuera allí a carbonear. Pues era imposible no quedarse fascinado por la belleza de esos jóvenes árboles en plena salud. Y ella ejerció su poder de seducción sobre el mismo diputado.

Yo tenía un amigo entre los capitanes forestales que estaba en la delegación. Le expliqué el misterio. Un día de la semana siguiente, fuimos los dos en busca de Elzéard Bouffier. Lo encontramos en pleno trabajo, a veinte kilómetros del lugar en el que había tenido lugar la inspección.

Este capitán forestal no era mi amigo sin motivo. Conocía el valor de las cosas. Supo permanecer silencioso. Les ofrecí los huevos que había llevado como presente. Compartimos nuestra merienda entre los tres, y pasaron las horas en la contemplación muda del paisaje.

El lado por el que veníamos estaba cubierto de árboles de seis a siete metros de altura. Recordaba el aspecto de esta tierra en 1913: el desierto… El trabajo sosegado y regular, el aire vivo de las alturas, la frugalidad y sobre todo la serenidad del alma le habían dado a este anciano una salud casi solemne. Era un atleta de Dios. Me preguntaba cuántas hectáreas iba a cubrir aún de árboles.

Antes de marcharnos, mi amigo hizo con sencillez una sugerencia a propósito de ciertas esencias a las que el terreno de aquí parecía convenirles. No insistió. «Por la simple razón, me dijo después, de que este buen hombre sabe más que yo.» Al cabo de una hora de marcha – tras haber recorrido la idea su camino dentro de él – añadió: «Sabe mucho más que todo el mundo. ¡Ha encontrado un estupendo modo de ser feliz!»

Es gracias a este capitán que, no solo el bosque, sino la felicidad de este hombre fueron protegidos. Hizo que nombraran a tres guardabosques para esta protección y los aterrorizó hasta tal punto, que estos permanecieron insensibles a todos los sobornos que los leñadores podían proponerles.

La obra solo corrió un gran riesgo durante la guerra de 1939. Con los automóviles, que funcionaban entonces con gasógeno, no se tenía nunca suficiente madera. Se comenzó a hacer cortes en los robles de 1910, pero esos sectores están tan lejos de todas las redes de carreteras, que la empresa se reveló muy mala desde el punto de vista financiero. Se abandonó. El pastor no había visto nada. Estaba a treinta kilómetros de allí, continuando sosegadamente su trabajo, ignorando la guerra del 39 como había ignorado la del 14.

He visto a Elzéard Bouffier por última vez en junio de 1945. Tenía entonces ochenta y siete años. Yo había retomado el camino del desierto, pero ahora, a pesar de la ruina en la que la guerra había dejado al país, había un coche que cubría el servicio entre el valle del Durance y la montaña. Le atribuí a ese medio de transporte relativamente rápido el hecho de que ya no reconociera los lugares de mis últimos paseos. Me parecía también que el itinerario me hacía pasar por lugares nuevos. Necesité el nombre de un pueblo para concluir que estaba, sin embargo, en esa región antaño arruinada y desolada. El coche me dejó en Vergons.

En 1913, esa aldea de diez a doce casas tenía tres habitantes. Eran salvajes, se detestaban, vivían de la caza con trampas: más o menos en el estado físico y moral de los hombres de la prehistoria. Las ortigas devoraban a su alrededor las casas abandonadas. Su condición no tenía esperanza. No se trataba para ellos sino de esperar la muerte: situación que casi no predispone a las virtudes.

Todo había cambiado. Incluso el aire. En lugar de las borrascas secas y brutales que me acogían entonces, soplaba una brisa suave cargada de olores. Un ruido parecido al del agua llegaba de los montes: era el del viento en los bosques. En fin, lo más sorprendente, oí el verdadero ruido del agua que corría a un estanque. Vi que se había hecho una fuente, que esta era abundante y, lo que me impresionó más, que se había plantado cerca de ella un tilo que ya podía tener cuatro años, ya pujante, símbolo incontestable de una resurrección.

Por otro lado, Vergons llevaba las huellas de un trabajo para cuya ejecución la esperanza era necesaria. La esperanza, pues, había vuelto. Se habían despejado las ruinas, se habían abatido los lienzos de pared dañados y se habían reconstruido cinco casas. La aldea contaba ahora con veintiocho habitantes, entre ellos cuatro jóvenes parejas. Las casas nuevas, enlucidas recientemente, estaban rodeadas por huertas en las que crecían, mezcladas pero alineadas, las verduras y las flores, las coles y los rosales, los puerros y las bocas de dragón, los apios y las anémonas. Era ahora un lugar en el que se tenían ganas de vivir.

A partir de ahí, hice a pie mi camino. La guerra de la que salíamos apenas había permitido el florecimiento de la vida, pero Lázaro estaba fuera de la tumba. En las faldas bajas de la montaña, veía pequeños campos de cebada y de centeno en ciernes; al fondo de estrechos valles, algunas praderas verdeaban.

Solo han sido necesarios los ocho años que nos separan de este tiempo para que todo el país resplandezca de salud y de bienestar. En el sitio de las ruinas que había visto en 1913, se levantan ahora verdaderas granjas, bien enlucidas, que denotan una vida feliz y confortable. Los viejos manantiales, alimentados por las lluvias y las nieves que retienen los bosques, se han puesto a fluir. Se han canalizado las aguas. Junto a cada granja, en los bosquecillos de arces, los estanques de las fuentes se desbordan en un tapiz de mentas frescas. Los pueblos se han reconstruido poco a poco. Una población llegada de las llanuras en las que la tierra se vende cara se ha establecido en la zona, trayendo juventud, movimiento, espíritu de aventura. Se encuentra en los caminos a hombres y a mujeres bien alimentados, a muchachos y a muchachas que saben reír y que han retomado el gusto por las fiestas campesinas. Si se cuenta la antigua población, irreconocible desde que vive con dulzura y con los recién llegados, más de diez mil personas le deben su felicidad a Elzéard Bouffier.

Cuando se piensa que un hombre solo, reducido a sus simples recursos físicos y morales, ha bastado para que surja del desierto este país de Canaán, encuentro que, a pesar de todo, la condición humana es admirable. Pero, cuando hago balance de toda la constancia en la grandeza de alma y de todo el empeño en la generosidad que han sido necesarios para obtener este resultado, me embarga un inmenso respeto por ese viejo campesino sin cultura que ha sabido llevar a bien esta obra digna de Dios.

Elzéard Bouffier ha muerto sosegadamente en 1947 en el hospicio de Banon.

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