Página dedicada a mi madre, julio de 2020

XXVIII

J’accepte l’apologue fou, et de partager la culbute!
On dit que le chef des Lamas noirs,
Ayant à vider sa querelle avec un Maître-des-Savoirs,
On dit qu’il provoqua la dispute:
Lequel des deux montant plus vite au plus haut du Gang-ri-mo-tcheu…
(On disait ce mont inaccessible),
Prouverait par là son pouvoir, gagnerait le plus bel enjeu –
– On dit que le Bouddhiste, impassible,
Sans invoquer, sans proférer, se tenait coi devant sa foi.
On dit que son rival en colère,
Le Pön-bo noir, d’un seul élan, se balançant sur les tonnerres,
On dit qu’il enjamba le sommet.
Le premier ravi dans le but… le premier au but… mais:
On dit qu’aussitôt il s’assommait
En retombant. Pendant que l’autre sans ciller dédaigneux de toute échelle                                   [ou escabelle,
On dit qu’il fut déclaré vainqueur.
J’accepte de monter là-haut si dans les Temps aux ris moqueurs
On dise que ma chute fut belle.

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XXIX

Louange au vin! Je suis ivre. Le Lama sait boire et chanter avec fruit
Louange à l’ivresse de l’Esprit!
Le Lama sait boire, disant que cela fait tourner plus vite le « Om Mani »,
Le moulin pieux au bout des doigts
Et qu’au bout l’on voit plus clair, et qu’après tout ces fariboles…
– Je bois à travers le Vin, la Parole.
Vin des Hauteurs! Vertige des Mots, Mal infini des montagnes
Thibet, je me hausse vers l’ardeur
Louange et gloire aux aliments purs des génies rayonnant et battant                                [les campagnes
Je suis ivre fou… Je suis démon-Dieu
Je danse plus haut que le regard sur la crête
Je suis déradé de tous mes sens
Viatique exaltant de la pensée, seul besoin de la besace
De qui monte haut et s’en va loin,
Ivresses, ivresse et joie: de quelque plante de quel suc qu’on vous délace…
Tout monte comme élévation
Vers toi dansant éperdu dans tes cimes, Thibet immobile dans l’air…
Louange à toutes les ivresses,
Aux fumées, aux espoirs, aux désirs, aux plus hautes allégresses
A TOI! Seul Pays vainqueur des cieux!

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XXX

Si jamais je veux être Lama?
– (Lama Jaune, Lama Rouge, Lama Rouge ou Jaune? Lama Jaune) –
L’un et l’autre chapeau se porte bien.
Ces deux couleurs sont vraiment lamaïques.
L’une et l’autre détient tous les Biens:
Soit dans le monde aux esprits diaboliques,
Ou simplement: des hommes politiques.
L’une et l’autre, opposées, se prête parfois les pouvoirs
Toutes les deux dansent, dansent
Sur le dos des vieux Lamas Noirs.
Il est bon de sauter en cadence;
Plutôt que prier en paix un très quelconque Brahma
Si jamais je dois être Lama.

Lama Jaune, Lama Rouge, Lama Jaune ou bien: Lama Rouge?
Ce rubicond se prétend le plus ancien
Des deux chapeaux reçus parmi les nôtres.
C’est un mage ambulant et métaphysicien
Qui le coiffa, doré de patenôtres.
En sa séquelle il faut que je me vautre,
N’espérant guère échapper à Tout-Son-Omni-Savoir:
Car il prêche, prêche, prêche
Sur les bords du Mansarovoâr.
Impossible, – hélas – que j’empêche
Sur mes lèvres son nom sempiternel « Grand Saint Padma…! »
Si jamais je deviens Son Lama!

Rouge? Non. Jaune ou Rouge? Revenons au Jaune: Lama Jaune!
Le prébendé, le seul et spirituel.
C’est en lui que je cherche mes oracles:
Car c’est de lui que naît le Pape actuel.
Je verrai donc cet étonnant miracle,
– Rome et Lhassa dans le même spectacle!!! –
Les véridiques Églises échangeant leurs avoirs…
Toutes les deux sonnent, sonnent
Par les nues aux plus hauts espoirs.
Inutile ici que j’entonne
Le même chant au chemin – même chemin – de Damas
Si jamais je deviens Un Lama.

(Lama Jaune, Lama Rouge, – Rouge, Jaune… ou Noir?)
Me voici pris au piège nécromant.
Jongleur de tes morts, amant de tes gouges,
Vampire érudit me réclamant
Du médecin dans ses pratiques rouges:
Me fourvoyant aux plus immondes bouges.
L’un à l’autre, prêtres-attestés, se dénigrent tout avoir
Mais tous les deux sautent, sautent
Sur la vie à grand désespoir.
Il me faut donc partager la ribote,
Me revêtir d’un très magistral et macabre eczéma
Si – horreur – Je devenais ce Lama!

(Lama vert, Lama bleu, Lama gris ou même:)
Grand Lama revêtu du vernis souverain!
À l’habit l’on connaît trop bien l’imposture.
Qu’un autre danse à ces tréteaux forains!
Que l’homme s’ouvre à toute la nature,
Exhibant vers là-haut sa flèche impure,
On n’entre point au DjoKang de mes yeux.
Que tous les dieux baisent, baisent
Sur la terre, au plus bas des cieux,
Qu’ils pénètrent tout à leur grand aise:
Hormis le secret de mon coeur, ni ce qu’il aima,
Même si je devenais Lama.

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XXXI

Mais avant tout ébat de toute secte diaprée
Menant rut et jeu de ses couleurs,
Avant qu’un seul homme ait jeté sur des gammes bariolées
Le chant d’arc-en-ciel de ses douleurs,
Tu te célébrais, moine pur, dans une ronde plénière,
Libre de la sonnaille et du gong;
Ton vent d’autrefois déferlait sans s’effranger aux drapeaux de prières,
Ta voix se recueillait pour le bond.
Tes eaux – aujourd’hui emmoulinées par les oraisons mécaniques
Tombaient musicales dans l’accord;
Ton ciel maintenant baratté par tant de dieux membrus faisant leurs roues                               [liturgiques,
Planait isotrope en son essor.
Avant toute église farouche, ou rouge, ou jaune épiphanie,
Ton nom se faisait sa litanie:
Excessif, Exaltant, Inhumain, Inhabitable, Masse de Gloire et Palais                                           [Accablant,
Ton nom – le véridique – oserai-je?
Tu étais, sans couleur, ton propre Très-haut Lama des Neiges,
Blanc.

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XXXII

Par les Forces visibles et non vues, pour les vallons irrespirés
Je t’adore Thibet, château du Monde
Pour tes arts peut-être cachés, et le non-savoir de tes hauts lieus retirés
Je te nomme et dis mon Outremonde
Pour tes pouvoirs d’immensité, acculés par le poids de la terre et                                                 [les poussées
Je te reconnais Masse de Gloire!
Pour ce que tu caches encore, par la discrétion sans bouche ni voix de                                         [tes mers
Je te revénère en ton offertoire
Tu n’es pas le royaume humain, ni ce divin paradis tiède, maître d’effroi
Je te surmonte et dis Enfer froid!
Pour la lente vie coulant de tes glaces et ces plis drus tombant de haut
Je te révère ô Souverain dur
Tu as taillé tes propres dieux en forme de monts et de pics
Tu es la cime méditerranée
Assemblant les mots magiciens, courant de la langue Perse à la corne                                        [du plateau mandchou
J’incante et te livre la démonie
Reçois mon… grand dévouement… dans la formule bizarre de la grande                                     [Apostasie
Je dis : matri moutri sala djou!

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XXXIII

C’est ainsi, Pays des Cimes, Pays des Hauteurs, Pays des Monts,
Que tes Lamas noirs rouges ou jaunes
T’ont peuplé de milliers de dieux et d’eux-mêmes,
T’ont changé en une terre occupée, pénétrée,
Par la prière.
Que les moulins tournent, tournent, tournent,
Que les drapeaux flottent
Que les fumées montent, montent, que les mets s’apprêtent, que les lèvres                                 [battent, que les Influx du haut se mélangent!…
Je n’ai point voulu m’occuper de ces débats, mais comme un sage,                                               [soupesant ta masse en ma paume,
Te cerclant, t’entourant, ayant réfléchi en hochant sur tes divers Évangiles…
Avec tes neiges, tes Hauts, tes vallées, ton poids, ton pouvoir spirituel…
Ton majestueux pouvoir et tes immenses forces potentielles
Suspendues là-haut, entre Ciel et Plaine, entre l’inaccessible et la Bassesse,
J’ai voulu, pays de Bod, te chanter en mon ivresse,
Ainsi que le Château d’eau, le château fort, le château de l’âme exaltée,
Éternelle, – en son désespoir, – et comme tes cimes, – souveraine.

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