PO-YOUL
XLVIII
Et c’est ainsi, Thibet nombreux que se rythment et se dénombrent [tes apothéoses…
Comme des cloches, tes grands noms battent… Comme des marques [dans le temps…
J’entends les fantômes de To-Bod, Haut Thibet, le mont inaccessible; celui [vers lequel on se hausse et qui vous porte et vous grandit…
To-Bod, et Lha-Ssa, Lha-Ssa, la ville où l’on n’arrivait pas, où l’on arrive…
Le nom du lieu et le château, la terre et sa ville maîtresse,
Lhassa, maintenant qui dépassera? –
Les hommes liges et les bêtes, les dieux fourmillants rayonnants, [tous les êtres et créatures …
Les Hommes ont nommé le nom de Bod.
Et Lha-Ssa, terre des esprits, – voici le lieu des créatures, les hommes [nommant, l’Esprit vaguant …
Et bêtes, dieux, et dieux et hommes tous ensemble ont fait ces domaines – [ces deux chants d’un seul livre inhumain. Moines régnant [et habitant, voyageurs montant à la peine…- Tous ont atteint [au moins la mort … au moins le linceul dans la neige…
– Mais plus lointaine que Bod et Ssa, plus hautaine que l’espoir des [Bod-Pa…
Règne la contrée Thibétaine…
– Celle qu’en marche on n’atteint pas, celle qui…
Poyoul! Poyoul, objet des monts! Ainsi se bâtit et hausse un poème:
Objet – Maléfice – et renonçant…
To-Bod, Lha-ssa et le territoire ineffable
Ainsi se partage le Poème.
.
.
.
XLIX
On est allé en ces lieux-là! On a mis le pied dans le thrène… – Voici qu’un [dieu n’y a pas suffi…
Voici déjà les deux chants dits: To-Bod et Lhassa… To-Bod même…
L’un sonne la trompe des on-dit…
Des hommes ayant couru haut ont surmonté l’investiture
Investissant ton mont de leur mont
To-Bod – Lhassa! Lhassa To-Bod, cloche sonnant – hymne hymnant
Voici le grand ciel de nonciature
Mais le territoire inconnu! le pays maître d’où ne naît
Pas même un regard ou…
Celui qu’on sait être tout blanc, tout chaud et vierge en ordination
Celui d’où les…
.
L
Tu es plus haut que ta légende, château de l’âme exaltée,
Plus haut que ce qu’on pense de toi.
Ces beaux récits se dépassant… Cette arabesque surmontée…
N’atteignent pas le bord de ton toit.
On te découvre, on se promène décrivrant des néo-royaumes
Coupant ton pays à leur empan
Et le premier, ce Phrygien, Hérodote, nombreur des nômes,
Vieux Grec souriant en œgipan!
Il te croyait tout possédé par la Fourmilière géante
Ton miel métallique était de l’Or!
Aussitôt volé, emporté par des peuplades bien courantes
Et depuis son temps, et depuis lors,
Ibn Batoutah s’en fut tout seul, de l’Afrique à la mer démente
Citant seulement ton Tengri-Noor!
« Pays de la Gazelle œuvrant le musc en rut odorant et sans trêve… »
– Tous! Tous, de ta neige à tes névés,
En toi, en toi, mettaient leur foi, te dédiant leurs plus hauts rêves,
Que peut-être tu avais bien rêvés.
.
.
.
.
.
.
.
LI
Je suis comblé je suis si haut, tout en mon corps d’homme respire
– Mais qui me tord et pénètre et renie…
Devant tes monts, au haut de toi, étreignant ton investiture
– Mais quoi me conjure et me parjure…
Je t’ai vaincu Thibet superbe, ô mon poème! ô mon émoi
– Je t’ai embrassé dans ta superbe
Autant qu’un homme peut jouir je me suis fondu dans ta glace
– Mais quoi me reste inquiétant à fuir…
Je suis très haut, je n’ai plus peur; je suis devenu Prince même, Lama, [et yak et neige et pic…
– Mais l’Autre qui me reste lointaine…
Te surmontant, te pénétrant, j’avais dessein, ô diadème
De me couronner du monde-roi…
Je te saisis et je te tiens… J’étais dominé par ton être
– Mais qui se rebelle et se démet
J’avais conçu par ton amour de parvenir à la connaître
L’Autre, la joie ou l’avenir…
Je te possède, ô mon objet! Je t’ai vaincu ô mon poème
Et l’autre s’enfuit et me sourit
De ce regard et de ce feu dans tout ce visage suprême
– Mais où la trouver désormais
C’est fait, tout est fait, et j’attends, – j’ai dit tout est dit, et je meurs
– Mais qui songerait à la tuer…
Celle qu’on chasse et qu’on poursuit, celle qu’on désire et qu’on pleure,
– Mais qui la saurait accoutumer?
.
LII
Dans l’exaltante exoraison, et cette ardente litanie,
Thibet, qui m’usas mes deux genoux,
Toi qui surmontes, n’omets point dans cette double gémonie
Celle qui a tant besoin de nous.
Dans ma tendresse pour le haut, ne néglige pas la suprême
Celle qui est grande ardeur à nous…
Par son pouvoir et par le tien, donne-moi le rond diadème
Celle qui…
Dans toute…
Celle qui se languit tant de nous…
Dans la solitude… dans…
Celle qui est seule loin de nous.
Dans tes pouvoirs de mort et de nuit, n’omets point dans…
Celle pour qui l’on meurt à genoux.
La reine des sommets de chair, et le grand’four où tout se consomme
La fille naissant au sein de l’homme.
.
LIII
Mais que sont rêves et tes dieux! que sont les ferveurs des poètes
Thibet, au niveau de tes sommets!
Quel imaginaire enfanté dans les montagnes et les crêtes
Crève et règne au prix de tes…
Les plus enfantines extases, les plus célestes aventures
Montent avec peine à tes jointures…
L’homme désire et puis meurt! L’homme veut et ne fait pas… l’homme [aspire.
Toi, seul, au plus haut… tu es.
Que les autres escaladeurs chevauchent des mots dans leurs songes,
Je monte en frappant ton sol craquant
Ou bien que dans l’air s’évertuent les hymnes sonnant la merveille
Je scande le tréteau…
Tremplin de la terre, château ferme, – seul mont qui dans le déluge de boue
Se dresse, accessible et diadème…
Quand tout sera mort…